Déjà la rentrée avec une quantité toujours impressionnante de nouveaux livres, auteurs réguliers et têtes affiches sont à l’appel mais aussi de nouvelles plumes. Nous avons effectué pour vous un premier choix de livres. Une deuxième sélection vous sera proposée dans la Lettre du mois d’octobre.
Cependant, avant de passer en revue les premiers livres que nous avons choisi, rendons hommage à Michel Butor disparu le 24 août dernier. Immense auteur de “La modification”, poète, auteur clé du Nouveau Roman, Michel Butor avait su, en évitant certains des mécanismes un peu artificiels de ce courant littéraire, conserver son originalité et son style. Michel Butor était aussi un expert de la peinture occidentale. Dans un magnifique livre illustré il nous montre et nous parle, comme un parcours de la peinture occidentale, de 105 oeuvres essentielles, un livre de référence que tout amateur éclairé doit avoir dans sa bibliothèque.
Passons à présent à la rentrée littéraire. Un premier choix de quatorze livres, quatorze romans, les autofictions, ce genre bien français, sont, comme chaque année, nombreuses, mais aussi des fictions et des romans historiques.
Romans
“Riquet à la houppe”, Amélie Nothomb, Albin Michel
La grande Amélie Nothomb, celle de “Stupeurs et tremblements” et de “l’Hygiène de l’assassin” est de retour. Ce nouveau roman est un enchantement. Un Riquet ornithologue et une Belle égérie d’un grand bijoutier, une grand-mère un peu sorcière, un château en ruine, tout y est pour notre plus grand plaisir. Le ton est juste, les personnages ont épaisseur, substance et humanité. Amélie Nothomb décrit, sans appuyer, la dureté de l’enfance et du monde, le rejet de tout ce qui n’est pas dans la norme. Elle décrit avec humour le gatisme des nouveaux parents et ce que ce gatisme inspire à un bébé surdoué et bien d’autres scènes de tous les jours vues avec recul et sensibilité. Amélie Nothomb fait mouche à tout coup, tant pour sa vision du monde des médias que pour son inattendue analyse de la Comédie Humaine. A lire par tous et surtout par les amoureux des contes et fables.
“Ecoutez nos défaites”, Laurent Gaudé, Actes Sud
Virtuose, dense, ambitieux, le nouveau livre de Laurent Gaudé est, sans conteste, un des meilleurs livres de cette rentrée littéraire 2016. Mariam, une archéologue irakienne et Assem, un français “tueur de la République” se rencontrent fortuitement. Le magnifique site de Palmyre est en jeu et en danger, sous la menace de la folie de DAECH. L’aventure nous prend sans nous lâcher jusqu’au dernier mot. Mais cette aventure est le prétexte pour Laurent Gaudé pour nous parler de l’histoire, de la grande, de celle qui fauche les âmes et les êtres, qui détruit ce que l’humanité a de plus beau. L’Histoire avec un grand “H” c’est trop souvent l’horreur et la dévastation. Hannibal le carthaginois, Ulysses S. Grant, général et président des Etats Unis, et de façon inattendue l’empereur Haïlié Sélassié, sont en fait les personnages principaux de cet étonnant livre. Pour en savoir plus sur ce livre lisez l’article de Julien Bisson dans le magazine LIRE du mois de septembre.
“Babylone”, Yasmina Reza, Flammarion
Un quasi huis clos, qui nous rappelle que Yasmina Reza est avant tout une dramaturge. Galerie de portraits en apparence parisienne mais finalement assez universelle, Yasmina Reza plante le décor et introduit ses personnages. Une langue assez classique, qui diffère de celle de “Heureux les heureux”, incisive et directe néanmoins, comme son auteur, une langue qui décrit et fait ressentir et voir en un trait. Le clan familial d’abord, petit et serré, sans que cela soit dit, Elisabeth et sa soeur sont comme apatrides ou plutôt n’ont qu’une patrie, leur cercle familial restreint et clos. Puis le fait divers, banal et qui pourrait être terrifiant, sordide, mais ne l’est pas, vu avec distance et somme toute une certaine froideur. Meurtre à la Simenon mais traité très différemment, ici pas d’identification au personnage central, distance toujours. Roman de l’insatisfaction et de la désillusion, roman contemporain d’une impeccable facture.
“Ce vain combat que tu livres au monde”, Fouad Laroui, Julliard
Le ton du nouveau livre de Fouad Laroui est grave. Nous sommes loins de la nostalgie critique et amusée du colonialisme et de la glorification d’un passé très lointain. C’est pourtant du poids de ce passé et des origines que parle ce roman. Sujet d’une actualité brûlante, Fouad Laroui décrit minutieusement les mécanismes qui vont transformer Ali, un jeune franco-marocain, en un fondamentaliste fou. Il nous décrit aussi, et c’est peut-être la partie la plus intéressante du livre, la réaction de ses proches, le désarroi et leur révolte, l’impact dévastateur sur Malika et leur histoire d’amour. Mais bien sûr, est c’est là où il excelle, ce livre est l’occasion pour Fouad Laroui de nous donner un magistral cours d’histoire. Comme souvent il revient aux sources et donne un éclairage essentiel pour comprendre les enjeux et le pourquoi de certains des événements que nous vivons aujourd’hui.
“Dieu n’habite pas la Havane”, Yasmina Khadra, Julliard
Nous sommes cette fois bien loin de l’Islam fondamentaliste et de ses ravages présent dans les derniers livres de Yasmina Khadra. Le poids de la dictature est cependant là mais il n’est pas ou peu le sujet du livre. Yasmina Khadra nous transporte à La Havane non pour dénoncer les dérapages et les horreurs de la dictature cubaine, que l’on entraperçoit au détour d’un paragraphe ou d’une scène, mais pour parler d’amour. Joli roman, bien mené, dans le style rapide et tendu de ses derniers livres, nous voilà plongé dans les réflexions, les joies et les souffrances d’un sexagénaire séduisant et doux. Beaucoup se souviendront du film de Wim Wanders, “Buena Vista, Social Club”. Le personnage principal, en sort directement. Inspiré semble-t-il par les stars du Buena Vista comme Compay Segundo, en plus jeune, élégant et séducteur, Don Fuego vit par et pour sa voix. Gloire passée des scènes cubaines, chanteur adulé, il est à présent passé de mode et traîne sa désillusion jusqu’à sa rencontre avec une brûlante rousse de 20 ans qui enflamme son coeur et son corps. L’intrigue est assez légère mais la balade dans La Havane vaut le détour.
“Soyez imprudents les enfants”, Véronique Ovaldé, Flammarion
Quête d’identité d’une jeune femme dans l’Espagne des années 80, un pays qui se remet lentement des années de dictature franquiste. Le roman est un entrecroisement d’époques, contemporaines, années 80 et années franquistes et des siècles en arrière. Cette jeune femme est d’abord interpellée et marquée dès son adolescence par le tableau d’un peintre contemporain disparu. C’est au travers des recherches qu’elle mènera sur ce peintre et à l’occasion des rencontres faites dans ses recherches qu’elle comprendra qui elle est et d’où elle vient. Un roman sur l’émancipation et la difficulté de grandir. Un très joli personnage de jeune femme. Dans un style souple et vif Véronique Ovaldé nous captive et parvient à créer une réelle complicité avec Atanasia Bartolome, cette jeune femme obstinée qui finira par retrouver ses origines pour enfin s’en libérer et devenir ce qu’elle souhaite être.
“L’insouciance”, Karine Tui, Gallimard
Grande réussite pour ce nouveau roman de Karine Tuil. D’insouciance, au sens propre du terme, il n’y en a guère dans ce roman. Afghanistan, terribles combats, terribles souffrances, Irak, insouciance apparente des guerriers qui, sonnés par l’effroi et la permanence de la violence et de l’horreur sont cuirassés, gardent en eux mêmes toutes leurs peurs et leurs angoisses. Puis nous basculons dans le monde qui est le nôtre, une société décrite par Karine Tuil comme peuplée de gens également durs, de la lutte de chacun pour se faire sa place au soleil. Comme toujours des personnages fouillés et travaillés, et puis bien sûr, des histoires d’amour, histoires entre des êtres cassés, traumatisés par la guerre ou d’autres chocs, moins spectaculaires, mais d’une grande intensité. Un roman fort qui procure du bien, roman sur le monde qui est le nôtre et dans lequel malgré tout, il reste possible de vivre des histoires d’amour.
“De nos frères blessés”, Joseph Andras, Actes Sud
Étonnant premier roman sur l’événement qui bouleversa la vie de Fernand Iveton, ouvrier indépendantiste d’origine algérienne: un attentat, ou plutot un attentat avorté. Le livre relate le procès et la condamnation qui s’en suivirent mais aussi les origines de cette homme et son intimité. Homme en marge, broyé par le destin et un système qui lui est étranger. Un beau livre qui nous fera attendre avec intérêt le prochain roman de Joseph Andras.
“Le capitaine des ponts tranquilles”, Gérard Grévenand, Les Escales
1932, un garçon de 15 ans s’engage à Anvers comme mousse sur un cargo qui descend vers Le cap, en Afrique du Sud. C’est la vie d’aventures de ce garçon devenu un homme que l’on suit tout au long du roman. Grande galerie de portrait, de Rakham Le Rouge (le vrai) à Jacques Brel, le roman relate la vie trépidante de Archibald (oui comme le capitaine Haddock) van Kortrijk. Avec lui nous voyageons autour du monde et sur toutes les mers et océans. Les Pays Bas sont très présents dans ce livre écrit par quelqu’un que connaissent certains d’entre vous, Gérard Grévenand ayant travaillé à la Maison Descartes il y a quelques années. Un beau livre d’aventure.
“14 juillet”, Eric Vuillard, Actes Sud
Après nous avoir charmé et captivé avec l’histoire de Buffalo Bill dans “Tristesse de la terre”, Eric Vuillard revient avec un nouveau livre, roman historique de facture classique. Eric Vuillard nous entraîne et nous plonge dans la foule ivre de liberté et de revanche, en route pour la Bastille dans cette journée historique du 14 juillet 1789. Une vision originale de cet événement, d’une journée dont le symbole et les conséquences se font encore et toujours ressentir aujourd’hui, jusque dans les discours de nos politiques et autres bateleurs. Une réussite que ce livre sur un sujet que l’on aurait cru sans surprises.
“L’autre que l’on adorait”, Catherine Cusset, Gallimard
Très beau livre d’une de nos “Normalienne/agrégée/petit génie” préférées. Une autofiction, la narratrice Catherine est Catherine Cusset. Le livre parle d’un amour avec un être d’exception, Thomas Bulot, dont catherine Cusset a été passionnément amoureuse. Ce sera finalement un autre avec qui elle fera sa vie mais sa belle et intense histoire avec Thomas Bulot l’aura profondément marquée comme en témoigne ce livre. Comment un être si talentueux et si riche finit par se suicider à 39 ans, Catherine Cusset nous le fait comprendre et vivre. Dans un style direct et clair, Catherine Cusset parvient à nous faire ressentir cet amour et cette amitié rare qui l’ont marqués pour toujours.
“Chanson douce”, Leîla Slimani, Gallimard
Livre choc, il y a dans ce récit, du Chabrol, on songe tout de suite à la “Cérémonie” et à la froide et manipulatrice Isabelle Huppert ou encore à Dirk Bogarde du “Servant” de Losey. Les premières pages du livre décrivent l’horreur absolue. Ce sera donc avec en permanence en mémoire la description de ce terrifiant assassinat des deux enfants d’un couple ordinaire que l’on lira le roman. Description sèche et minutieuse d’une tragédie annoncée, manipulation et enfermement de ce couple face au diable incarné, le drame nous est raconté d‘une écriture serrée qui crée une tension terrible : âmes sensibles s’abstenir!
“Proust pour rire”, Laure Hillerin, Flammarion
Pour ceux qui ont eu le courage de lire “Chanson Douce”, précipitez vous immédiatement sur le livre de Laure Hillerin. Comme Kafka, Proust est bien un auteur comique! André Maurois dans sa belle biographie l’avait déjà brillamment dit. Laure Hillerin, grande proustienne s’il en est, nous avait conquis avec son beau livre “La comtesse Greffulhe, l’ombre des Guermantes”, nous offre ici une anthologie soigneusement constituée de morceaux choisis de toute La Recherche. Une excellente initiation à La Recherche pour ceux qui ne s’y sont pas encore plongés et un délicieux exercice de souvenir pour les proustiens confirmés.
“Repose-toi sur moi”, Serge Joncour, Flammarion
Serge Joncour reste fidèle à son personnage de géant balourd et sensible, naïf et un peu triste, sorte de mélange de Maigret et de John Wayne. Il n’est plus écrivain comme dans son dernier livre mais est cette fois chargé du recouvrement de créances impayées pour une agence spécialisée. Vision pas très gaie d’une société contemporaine française médiocre, Joncour décrit petits maîtres et victimes avec retrait et minutie. Un livre qui sonne juste et déjà encensé par la critique.
Romans Policiers
Une chronique de Clément Magneau, libraire au Temps Retrouvé
Robert Van gulik, un néerlandais en Chine
Diplomate, polyglotte, érudit et fin lettré, Robert van Gulik a vécu nombre d’années en Chine, de même qu’au Japon, en Malaisie, au Liban et aux Etats Unis. Mais c’est la Chine et sa culture, à travers sa calligraphie et la poésie principalement, qui l’ont véritablement fasciné et passionné jusqu’à la fin de ses jours. Il semble que ce que nous nommons aujourd’hui “littérature policière” ait été très prisé déjà dans la Chine ancienne, qui en a peut-être inventé le genre. Quoi qu’il en soit, c’est en 1948, alors qu’il se trouvait en poste au Japon, que Robert van Gulik traduit pour son propre plaisir le Dee Goong An (titre français :“Trois affaires criminelles résolues par le juge Ti”), roman policier chinois de l’époque Tang (VIIème siècle après Jésus Christ). A partir de là, s’inspirant de documents historiques relatifs à cette époque, il écrira, en anglais, dix-sept romans policiers de son cru, qui tous ont pour cadre la Chine des Tang, et pour personnage principal le juge TI (qui a réellement existé et qui vivait précisément à cette époque). Ces ouvrages connaîtront bien plus qu’un succès d’estime, puisqu’il n’ont cessé d’être réédités depuis pour le plus grand plaisir des amateurs de romans policiers historiques. C’est à un voyage dans le lointain du temps et de l’espace, et au sein d’une culture fascinante, que nous entrainent les romans de Robert van Gulik, tout au long d’intrigues riches en surprises et rebondissements, le tout agrémenté d’un érotisme délicatement suggestif, à la chinoise. (Robert van Gulik est aussi l’auteur d’un ouvrage érudit, à l’usage des esprits curieux, “La vie sexuelle dans la Chine ancienne”). En résumé, rien de plus plaisant que cette littérature policière si fortement marquée par la personnalité de son auteur, et dont l’atmosphère exotique, chaleureuse et d’une grande humanité, nous semble aussi intemporelle que le clair-obscur chez Rembrandt. Pour les amateurs de dépaysement et de plaisir rare et raffiné.
Dès le mois d’octobre, en association avec le Temps Retrouvé, L’Échappée Belle prend en charge l’organisation des rencontres littéraires au 529 et “hors les murs”.
Toutes les informations sur les événements à venir, rencontres littéraires mais également le programme de la cinémathèque française pour les mois de septembre et d’octobre, sont sur le site de L’Échappée Belle.
Programme pour les mois de septembre et octobre 2016
Bien d’autres choses vous attendent pour les mois suivants et en 2017. Pour les connaître rendez-vous sur le site de la fondation. www.echappeebelle.nl