Dans un article paru il y a peu dans le New York Times, Teju Cole, un journaliste, a comparé la montée du populisme aux États Unis à la métamorphose progressive en rhinocéros de tous les habitants d’une petite ville de province en France. Cette histoire est contée malicieusement par Eugène Ionesco en 1957 dans une courte nouvelle qu’il adaptera par la suite pour le théâtre ; “ Ils ont plus que la foule une mentalité de foule. Ils ne pensent pas, ils récitent des slogans (…). Ils étaient des rhinocéros.” Eugène Ionesco, en 1961, explique ainsi l’origine de sa pièce, décrire, par une métaphore puissante et dérangeante, la montée du nazisme en allemagne. Comment un pays entier peut en arriver à adhérer à une idéologie simpliste et réductrice, se laisser embrigader et séduire, accepter une telle déshumanisation, rejeter violemment l’autre parce qu’il n’est pas conforme au dogme dominant, parce qu’il n’est pas identique à soi. En contrepoint de la Métamorphose, au contraire de George Samsa qui est le seul à se transformer, Bérenger est le seul à ne pas être devenu un rhinocéros. Cela lui donne “mauvaise conscience” : “Je me sentais un monstre”. Bérenger, seul contre tous, lutte contre le prêt à penser et la déshumanisation. Et si Trump et ses pairs européens étaient des rhinocéros?
“La succession”, de Jean-Paul Dubois,
Éditions de l’Olivier
Étrange famille que celle de Paul Katralilis que nous décrit Jean-Paul Dubois, dont le roman “Une vie française” avait obtenu le Femina en 2004 .
Troublant mal être, difficulté de vivre, qui rappelle parfois celle de la Génération Perdue, le suicide, qui décima près de trois générations chez les Hemingway, marquera cette famille. Quelle force pousse irrémédiablement le grand-père, médecin de Staline, le père médecin généraliste excentrique dont Paul découvrira l’humanité après sa mort, Anna sa mère et son oncle Jules, à un tel acte de désespoir? ”La succession”, c’est l’histoire triste de parents trop englués dans la dépression pour aimer leur enfant, histoire de l’impossibilité de certains êtres à communiquer, à dire “l’insupportable légèreté d’être”. Jean-Paul Dubois promène son élégant spleen et sa distante mélancolie, il nous fait parcourir le monde de la Russie Stalinienne à la Floride en passant par la Côte Basque. Il nous dit le poids d’une succession, d’un héritage, poids insupportable.
“Cannibales”, de Régis Jauffret,
Seuil
Bel exercice de style que ces échanges épistolaires entre deux femmes. Correspondance donc entre deux amoureuses passionnées, l’une mère de l’amant cinquantenaire, architecte, abandonné par l’autre, une jeune “collectionneuse” de vingt-quatre printemps, tirée tout droit d’un film d’Eric Rohmer, mais matinée de Quentin Tarantino.
Ici point de Madame de Sévigné (ou de Madame de Beausergent) mais plutôt Hannibal Lecter. Régis Jauffret, que la bonté, dit-on, exaspère et que la méchanceté stimule, nous décrit, avec délectation, la préparation d’un savoureux festin dont le plat principal doit être le fils et amant déchu. Au fil des lettres, les esprits s’échauffent et s’agitent, mais la fin de l’histoire n’est pas celle annoncée…
“Un paquebot dans les arbres” , Valentine Goby,
Actes Sud
Les Trente Glorieuses, années bénies de bonheur insouciant pour certains mais années terribles et dures pour d’autres. Pour la famille de Mathilde, la vie est cruelle et sans merci.
Ses parents, tenanciers d’un café puis d’un petit commerce, sont confrontés à plusieurs épreuves dont la plus rude, la tuberculose, qui les frappe tous deux. Mathilde, véritable “mère courage”, digne et forte, malgré de légitimes moments de faiblesse, fait face. Ce “paquebot dans les arbres” c’est le sanatorium, autour duquel la vie de Mathilde va graviter. Valentine Goby, auteure prolixe, saluée par la critique pour son livre “Kinderzimmer”, continue, dans ce nouveau roman, à développer le thème qui lui est cher de l’émancipation de la femme. Ni misérabilisme, ni mélodrame, “Un paquebot dans les arbres” nous transporte, avec sobriété et simplicité dans la province des années cinquantes. Le livre traduit bien, dans un style qui fait revivre les dialogues des films en noir et blanc de ce temps là, le discours poujadiste, le racisme et le sectarisme qui avaient cours à cette époque, discours à la résonance malheureusement bien présente dans les slogans populistes d’aujourd’hui.
“Possédées”, de Frédéric Gros,
Albin Michel
Possession et exorcisme, le nouveau livre de Frédéric Gros est consacré aux “possédées” de Loudun, terrible affaire qui bouleversa la France en 1632.
Elle a fait l’objet déjà de plusieurs livres et films, dont l’extraordinaire film de Ken Russell en 1971, “Les Diables”. Frédéric Gros consacre son livre, remarquable et prenant roman historique, à un homme, le prêtre Urbain Grandier. Brillant, adulé mais brûlé par l’orgueil, ce sera son humanisme et ses acquaintances protestantes qui le perdront. Frédéric Gros dresse le portrait d’une société, superstitieuse, peureuse et conformiste, portrait de la folie aussi, de celle de la mère supérieure, fragile et plus que tourmentée. Jeux politiques, alliances, magistrats et religieux répondants à un même aveuglement, une même folie. A la lecture du passionnant livre de Frédéric Gros, on s’interroge sur le point de savoir qui sont les vrais possédés
Mariages de saison”,
éditions Buchet Chastel,
le dernier roman de Jean-Philippe Blondel parle aussi de l’amitié. Dans ce livre, Jean-Philippe Blondel nous plonge dans l’univers des mariages en province.
L’oeil critique, mais souvent avec empathie, il décrit la tension, la frénésie de ce jour très éprouvant et finalement le plus souvent terrible pour les mariés. Autour d’une histoire simple, en apparence légère, Jean-Philippe Blondel creuse, travaille ses personnages en leur donnant substance et vie.
Mariages “modernes” répondant aux nouveaux codes imposés par la télé-réalité et les magazines, nous suivons la vie de Corentin, un jeune homme qui navigue entre adolescence et maturité et qui travaille pour son parrain Ivan. Tous les weekends, pendant la “saison” des mariages, Corentin filme avant, pendant et après l’événement. Corentin porte un regard caustique et distancié sur tous ces gens, toutes ces familles. Corentin absorbe, enregistre, écoute. Puis, il a une idée, simple, facile en apparence, laisser parler les gens d’eux-mêmes devant sa caméra. Cette idée va bouleverser sa vie. Autour d’une histoire, en apparence légère, Jean-Philippe Blondel creuse, travaille ses personnages en leur donnant substance et vie. Drôle, sensible, un beau livre sur l’amour mais surtout sur l’amitié, la fidélité.
Jean-Philippe Blondel est aussi l’auteur de nombreux romans pour les adolescents. Il n’a pas son pareil, par une langue simple et actuelle, pour s’adresser et comprendre les adolescents d’aujourd’hui. « Blog » et « Au rebond » ont été plébiscités par plusieurs établissements scolaires aux Pays Bas.