Rendez-vous littéraire incontournable, la rentrée littéraire de septembre nous apporte chaque année une impressionnante quantité de nouveauxromans. Des centaines de livres d’auteurs confirmés, des premiers romans, biographies etc. Alors il est bien difficile, comme toujours, de faire une sélection et nous reviendrons donc avec d’autres suggestions dans notre lettre du mois d’octobre, date à laquelle nous connaitrons les sélections des jurys des grands prix littéraires. Nous avons cependant déjà connaissance des premières sélections du Goncourt et du Renaudot et nous en avons retenu quelques titres.
Livres d’auteurs confirmés d’abord, Sorj Chalandon, Laurent Binet, Alexis Michalik, Nathacha Appanah, Olivier Adam, Sébastien Spitzer ou encore le superbe livre de Jean-Luc Coatalem qui raconte sa quête pour savoir qui était vraiment son grand-père et bien sûr le nouveau livre, très étonnant, d’Amélie Nothomb, un premier roman qui traite avec brio d’un sujet dur et puis une biographie romancée de Virginia Wolf, présentée du reste comme un roman, Virginia, d’Emmanuelle Favier
Une joie féroce
Sorj Chalandon
Grasset
Date de parution : 14 août 2019
ISBN : 9782246821236, 320 pages, 22.78€
Des femmes marquées par la vie, perte d’un enfant ou maladie grave, toutes déçues par les hommes, par leur homme, elles font face, chacune à leur manière, avec force et parfois avec humour. Dans Joie féroce, les hommes n’ont pas la part belle et ce sera seules qu’elles affronteront les épreuves qui se dressent devant elles. Les personnages de Sorj Chamandon sont vrais et attachants, souvent émouvants. Après un début triste, voir sinistre et plombant, très vite le ton change, souvent drôle, même si cela confine à l’humour noir. Le lecteur est alors emporté par le style incisif et précis de Sorj Chalandon. Page après page l’on attend avec impatience le dénouement et ses rebondissements.
Civilizations
Laurent Binet
Grasset
Date de parution : 14 août 2019
ISBN : 9782246813095, 384 pages, 23.98€
Et si les Incas s’étaient prémunis contre les maladies apportées, voire utilisées comme une arme, par les conquérants espagnols ? Et si les Incas avaient eu des chevaux ? Et s’ils avaient maitrisé la fabrication du fer et des épées ? Auraient-ils pu dès lors partir à la conquête de l’occident ?
Laurent Binet l’imagine pour nous. L’empereur Atahualpa, pour fuir son frère Huascar qui veut régner sur les « quatre quartiers », s’embarque avec deux cents hommes pour le « nouveau monde ». Intelligence politique machiavélique mais soucieux du bien être des peuples, il parviendra, au moins dans un premier temps, en écrasant ses ennemis et en consolidant son pouvoir par d’habiles alliances, mariages et autres pactes, à devenir le maitre de l’Occident. Imposant le culte du soleil comme religion d’État tout en prônant la tolérance religieuse, il supprime l’inquisition. Chaque ville aura alors son temple du soleil mais pour autant, de par la loi, l’Édit de Séville abolissant l’infâme loi d’expulsion de 1492, chacun sera libre de pratiquer sa religion. Juifs et musulmans vivront ainsi en bonne intelligence. Mais la paix ne durera pas et bien des péripéties, dont certaines plus qu’inattendues, attendent l’empereur du Soleil et sa suite. Laurent Binet avec force détails reconstruit la généalogie des dynasties dirigeantes, des Bourbon aux Habsbourg, des Plantagenet et des Médicis. Tous les grands personnages de cette époque sont évoqués comme Barberousse, Montézuma, Soliman le magnifique, ou Lorenzaccio etc. Laurent Binet imagine leurs alliances avec les fils du soleil. Faisant preuve d’une grande habileté et d’une infaillible érudition, Laurent Binet nous enseigne une autre histoire. Une fable par laquelle il nous montre qu’au fil du temps, des alliances et des naissances, vainqueurs et vaincus, incas, mexicains, français, italiens, anglais, ne se distingueront plus les uns des autres et que dès lors tous ces combats menés au nom de telle ou telle idéologie finiront par perdre leur sens.
Soif
Amélie Nothomb
Albin Michel
Date de parution : 21 août 2019
ISBN : 9782226443885, 162 pages, 19.50€
« Prier, pour moi c’est devenu écrire » Amélie Nothomb
La Passion selon Amélie Nothomb.
Soif, est le récit de la Passion du Christ racontée par lui même; depuis son procès durant lequel il découvre, muet et meurtri, que tous les témoins à charge sont ceux qu’il a sauvé et guéri par ses miracles, jusqu’à sa résurrection. La Passion selon Amélie Nothomb nous montre un Christ, humain, qui souffre et aime dans sa chair. Soif c’est aussi de beaux portraits, vivants et actuels, et tout particulièrement ceux, sensibles et émouvants de Marie, mère aimante qui souffre de voir son fils martyrisé et celui de Marie-Madeleine, qu’Amélie Nothomb préfère appeler Madeleine, et qu’elle imagine amoureuse et compagne du Christ. Passion dépoussiérée, humanisée et intemporelle, Amélie Nothomb parvient à transformer l’histoire la plus célèbre au monde, histoire que l’on croyait connaitre par coeur, en un roman tendu dont on tourne les pages avec empressement pour en connaitre la suite. Le Nothomb 2019 est un excellent cru et le jury du Goncourt ne s’y est du reste pas trompé en retenant Soif dans sa première sélection. Enfin un livre d’Amélie Nothomb qui plait aux académiciens Goncourt !
Première sélection du Prix Goncourt
Loin
Alexis Michalik
Albin Michel
Date de parution : 5 septembre 2019
ISBN :9782226328731, pages, 24.96€
Alexis Michalik est bien sûr l’auteur d’Emond, pièce de théâtre sur Edmond Rostand couronnée par cinq Molière. C’est aussi un excellent romancier. Son dernier livre,Loin, vous transportera aux quatre coins du monde, Vienne, Berlin, Akhalkalaki en Georgie, laTurquie, la Bulgarie, la Hongrie, l’Inde, le Mali etc. Vous suivrez la quête de trois adolescents prolongés, un frère et sa jeune sœur, cette dernière digne représentante de la nouvelle génération de jeunes femmes à l’esprit rebelle et délié, et un ami, partis à la recherche de leur père et de leur identité.
Une partie de badminton
Olivier Adam
Flammarion
Date de parution : 21 août 2019
ISBN: 9782081382473, 384 pages, 22.90€
Paul, écrivain autrefois célébré, est au creux de la vague. Fini le statut envié d’écrivain à succès, terminé la vie confortable de bobo, adieu voyages au Japon et autres dépenses faites sans compter, adieu la vie parisienne. Sans le sou, vivant sur le seul salaire de son épouse Sarah qui est professeur de lycée, les voila contraints de quitter Paris pour la Bretagne Nord. Ce qui avait été pour Paul, Sarah et ses deux enfants, un paradis pour leurs vacances d’été tourne vite au cauchemar. Conflit de génération avec sa fille Manon qui ne rêve que de retourner à Paris, conflit avec les élus locaux à cause d’articles que Paul écrit dans le journal local, conflit avec sa femme dont il apprend fortuitement qu’elle le trompe avec une jolie voisine, Paul encaisse coup après coup. Comme si cela n’était pas assez, Sarah qui enseigne le français bénévolement dans un centre de réfugiés est victime d’une violente cabale d’un groupe d’extrême droite. Vient s’ajouter à cela des révélations douloureuses sur l’histoire familiale de Paul. Olivier Adam, trouve ici le ton juste pour nous faire partager les difficultés communes et tristement classiques de beaucoup de couples après vingt ans de mariage. La tension monte progressivement. Vous tremblerez pour Manon et Sarah tout en partageant le désarroi de Paul, désarmé devant tant d’adversité, fragile et sensible et qui pourtant surmontera bon en mal allant, toutes ces épreuves.
Le coeur battant du monde
Sébastien Spitzer
Albin Michel
Date de parution : 22 août 2019
ISBN : 9782226441621, 448 pages, 29.87€
« Derrière cet enfant né comme l’aube, sans avant, sans arrière, se cache le bâtard de Karl Marx »
Après son troublant et remarquable Ces rêves qu’on piétine, son premier roman , portrait glaçant de l’ambitieuse Magda Goebels, Sébastien Spitzer revient avec un roman captivant qui se déroule dans les faubourgs du Londres des années 1860. Misère des débuts de l’ère industrielle, famine, épidémies, grande pauvreté et désarroi des classes populaires, c’est encore le monde d’Oliver Twist et de David Copperfield. Dans cette misère noire, Charlotte, une irlandaise qui a fui la terrible famine qui sévissait alors dans son pays et qui provoqua une immigration massive vers les États Unis, recueille un enfant. Cet enfant, Freddy, est le fils illégitime et secret de Karl Marx et Charlotte va se dévouer corps et âme pour lui, volant, se prostituant, pour lui assurer un maigre quotidien. Plus tard passant aux actes pour mettre en oeuvre ce que son père avait théorisé, Freddy fera la révolution au nom des opprimés et de l’indépendance de l’Irlande.
Première sélection du Prix Goncourt
Luc Lang
La tentation
Éditions Stock
Date de parution :
ISBN : 9782234087385, 360 pages, 21.80€
Luc Lang est l’auteur de onze romans, dont Mille six cent ventres, prix Goncourt des lycéens.
« C’est l’histoire d’un monde qui bascule. Le vieux monde qui s’embrase, le nouveau qui surgit. Toujours la même histoire… et pourtant. François, chirurgien, la cinquantaine, aime chasser. Il aime la traque, et même s’il ne se l’avoue pas, le pouvoir de tuer. Au moment où il va abattre un cerf magnifique, il hésite et le blesse. À l’instant où il devrait l’achever, il le hisse sur son pick-up, le répare, le sauve. Quel sentiment de toute-puissance venu du fond des âges l’envahit ? Quand la porte du relais de chasse en montagne s’ouvre sur ses enfants, que peut-il leur transmettre ? Une passion, des biens, mais en veulent-ils seulement ? Son fils, banquier, a l’avidité du fauve. Sa fille, amoureuse éperdue, n’est plus qu’une bête traquée. Ce sont désormais des adultes à l’instinct assassin. Qui va trahir qui ? Luc Lang a écrit ici son histoire familiale de la violence. Son héros croit encore à la pureté. Cet ample roman nous raconte superbement sa chute et sa rédemption. » (Note de l’éditeur)
Journal d’un amour perdu
Éric-Emmanuel Schmitt
Albin Michel
Date de parution : 2019
ISBN : 9782226443892, 256 pages, 21.70€
« Pendant deux ans, Eric-Emmanuel Schmitt tente d’apprivoiser l’inacceptable : la disparition de la femme qui l’a mis au monde. Ces pages racontent son « devoir de bonheur » : une longue lutte, acharnée et difficile, contre le chagrin. Demeurer inconsolable trahirait sa mère, tant cette femme lumineuse et tendre lui a donné le goût de la vie, la passion des arts, le sens de l’humour, le culte de la joie. Ce texte explore le présent d’une détresse tout autant que le passé d’un bonheur, tandis que s’élabore la recomposition d’un homme mûr qui n’est plus « l’enfant de personne ». Éric-Emmanuel Schmitt atteint ici, comme dans La nuit de feu, à l’universel à force de vérité personnelle et intime dans le deuil d’un amour. Il parvient à transformer une expérience de la mort en une splendide leçon de vie. » (Note de l’éditeur)
Le ciel par-dessus le toit
Nathacha Appanah
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 22 août 2019
ISBN : 9782072858604, 128 pages, 15.26€
«Sa mère et sa sœur savent que Loup dort en prison, même si le mot juste c’est maison d’arrêt mais qu’est-ce que ça peut faire les mots justes quand il y a des barreaux aux fenêtres, une porte en métal avec œilleton et toutes ces choses qui ne se trouvent qu’entre les murs.
Elles imaginent ce que c’est que de dormir en taule à dix-sept ans mais personne, vraiment, ne peut imaginer les soirs dans ces endroits-là.» Le ciel par-dessus le toit
» Après le succès de Tropique de la violence, en 2016, sur l’île française de Mayotte, la romancière Nathacha Appanah, originaire de Maurice, renoue avec un sujet qui l’occupe depuis toujours : la famille. L’amour que l’on essaie de se donner, le mal que l’on se fait et les traumatismes que l’on se transmet malgré nous. Porté par une écriture d’orfèvre, Le Ciel par-dessus le toit est en lice pour les prix Goncourt et Renaudot. Il nous plonge dans la tragédie de Phénix et ses deux enfants, Loup et Paloma. Le fils est en prison pour avoir causé un accident de voiture en tentant de rejoindre sa sœur. Leur mère leur a donné des noms d’animaux pour les protéger ; elle s’est choisi celui d’un oiseau qui renaît de ses cendres. Car avant, Phénix était une mini-Lolita, enfant adorable exposée sur scène par ses fiers parents. Puis elle s’est enfuie. Illuminé par cette héroïne à la fois punk et antique, le nouveau roman de Nathacha Appanah progresse par blocs d’émotions et de rêveries. Et infuse en nous, puissamment. » Le Monde des livres, Gladys Marivat, 5 septembre 2019
Première sélection du Prix Goncourt et du Prix Renaudot
Virginia
Emmanuelle Favier
Albin Michel
Date de parution : 21 août 2019
ISBN : 9782226442710, 304 pages, 21.70€
Dans le lourd manoir aux sombres boiseries, Miss Jan s’apprête à devenir Virginia. Mais naître fille, à l’époque victorienne, c’est n’avoir pour horizon que le mariage. Virginia Woolf dérogera à toutes les règles. Elle fera œuvre de ses élans brisés et de son âpre mélancolie. La prose formidablement évocatrice d’Emmanuelle Favier, l’autrice du Courage qu’il faut aux rivières, fait de cette biographie subjective un récit vibrant, fiévreux, hypnotique. » (Note de l’éditeur)
La part du fils
Jean-Luc Coatalem
Éditions Stock
Date de parution : 21 août 2019
ISBN : 9782234077195, 272 pages, 20.71€
Jean-Luc Coatalem, journaliste, rédacteur en chef adjoint du magazine Geo, écrivain récompensé par plusieurs prix littéraires dont le Femina et le Renaudot, nous raconte dans La part du fils l’histoire de son grand-Père. De ce grand-père, Paol Coatalem, il ne sait à peu près rien hormis qu’il a été un grand résistant, communiste, et qu’il est mort en déportation en 1944 dans le camp de Bergen-Belsen.
« Sous le régime de Vichy, une lettre de dénonciation aura suffi. Début septembre 1943, Paol, un ex-officier colonial, est arrêté par la Gestapo dans un village du Finistère. Motif : “inconnu”. Il sera conduit à la prison de Brest, incarcéré avec les “terroristes”, interrogé. Puis ce sera l’engrenage des camps nazis, en France et en Allemagne. Rien ne pourra l’en faire revenir. Un silence pèsera longtemps sur la famille. Dans ce pays de vents et de landes, on ne parle pas du malheur. Des années après, j’irai, moi, à la recherche de cet homme qui fut mon grand-père. Comme à sa rencontre. Et ce que je ne trouverai pas, de la bouche des derniers témoins ou dans les registres des archives, je l’inventerai. Pour qu’il revive.» Jean-Luc Coatalem
Un formidable travail d’enquête pour un grand livre, émouvant et passionnant.
Première sélection du Prix Goncourt et du Prix Renaudot
Pourquoi tu danses quand tu marches ?
Abdourahman A. Waberi
JC Lattès
Date de parution : 21 août 2019
ISBN : 9782709665568, 250 pages, 20.71€
C’est questionné par sa fille de cinq ans quand aux origines de sa démarche chaloupée que l’auteur voit affluer les souvenirs : s’ouvre alors un touchant dialogue autour d’une enfance truffée de rites initiatiques et de figures hautes en couleur dans les durs quartiers du Djibouti des années 70. Coincé entre une mère indifférente (puis, 7 ans plus tard, entièrement dévouée au nouveau bébé du logis) et un père affairé, une grand-mère autoritaire et une bonne source de premiers émois amoureux, l’enfant chétif n’aura de cesse que d’exceller en rédaction dans les cours de de madame Annick, « Française de France », afin d’assouvir sa soif de culture(s) et son amour des mots, sans se douter qu’au passage sa plume l’entrainerait au bout du monde. Journal lumineux d’une enfance pourtant en souffrance, témoignage poétique d’un homme apaisé rendant hommage à ses ancêtres et leurs coutumes, un très bel hymne à la résilience.
Christophe Declérieux
Première sélection du Prix Renaudot
Deux Kilos deux
Gil Bartholeyns
JC Lattès
Date de parution : 21 août 2019
ISBN : 9782709663359, 440 pages, 21.70€
Ce livre est une bombe, une bombe destinée à éveiller les consciences ! Une magnifique réussite littéraire.
Parmi les nombreux romans de la rentrée il en est un qui sort du lot, d’emblée, par son sujet comme par la manière dont il est traité, qui s’impose comme une oeuvre hors du commun, et qu’on ne saurait passer sous silence. Il s’agit de Deux kilos deux, de Gil Bartholeyns, dont c’est le premier roman. À la question qui lui est posée de savoir comment lui est venue l’idée de ce titre, il répond :
« Deux kilos deux, c’est un poids d’abattage. Au-delà, l’état du poulet devient lamentable et il finit en filets. c’est une quantité, et c’est bien de cette façon que le monde se donne à ses acteurs, en chiffres, normes, procédures, un monde productiviste où l’être vivant, humain et non humain, est anéanti. ‘Mettez-moi 1kg8, s’il vous plait’, dit-on au boucher ou au poissonnier sans y penser, dans la déconnection la plus complète d’avec la réalité. Nous ne savons même pas que le poulet est un oiseau des jungles tropicales. Je me suis concentré sur le temps de leur existence parce que c’est à ce moment-là véritablement qu’eux et les hommes partagent une communauté de destin. Nul n’en sort sain et sauf« . Et d’ajouter, « Ce n’est pas du tout un roman à thèse. je n’ai pas utilisé la littérature pour traiter un sujet. C’est en cherchant un cadre pour une intrigue et une atmosphère littéraire que je voulais explorer que la question animale s’est imposée à moi. »
L’éditeur nous dit que ce roman est un western, ou encore un polar et une histoire d’amour. Sans doute. Mais c’est aussi et avant tout une réflexion sur la condition animale et la condition humaine, sur la nature de la relation que nous entretenons, nous les humains, avec nos compagnons les animaux, sur le sort particulièrement cruel que nous réservons de nos jours à certains d’entre eux que nous avons pris pour habitude de manger, depuis des temps immémoriaux, tandis que nous vivons quasiment en symbiose avec d’autres comme s’ils faisaient partie de notre famille. Et pourquoi cette différence de traitement des uns par rapport aux autres ? Y aurait-il ceux qu’on aime, parce qu’ils pallient en nous des carences affectives, et ceux dont le sort nous laisse indifférent parce qu’ils sont destinés à finir dans notre estomac ? Bref, les interrogations de Gil Bartholeyns sont nombreuses et sa réflexion, d’essence philosophique et non moralisante, dans l’esprit de Montaigne, nous donne aussi du grain à moudre. C’est ainsi que dans son roman tous les aspects de la condition animale, à commencer par celle du poulet d’élevage, tel qu’il se pratique de nos jours (l’élevage industriel, dit aussi élevage intensif, soit des milliers de poulets sur une surface réduite aux dimensions d’une feuille A4 par animal), sont envisagés par l’auteur d’une manière exhaustive, rigoureuse de précision et de vérité chiffrée. Une vérité faite d’horreurs et de cruautés banalisées, invisibles, donc ignorées de la plupart d’entre nous, et qu’il importe à ceux qui tirent profit de ce commerce de garder cachées. (Et peut-être nous-mêmes préférerons-nous qu’il en soir ainsi, pour notre tranquillité d’esprit). À ce propos l’auteur nous dit :
« Je ne suis pas un activiste mais j’aime l’idée qu’un roman puisse être une bombe. »
Et c’est bien d’une bombe effectivement qu’il s’agit, une bombe destinée à éveiller les consciences. Parmi les nombreuses questions que l’auteur se pose et qu’il nous pose aussi par là-même, à nous lecteurs dotés de conscience justement, il y a celle-ci, qui me semble capitale :
« La vie a-t-elle besoin du bien être ou de la conscience pour valoir quelque chose ? La liste des êtres percevant leur existence ou éprouvant des états affectifs est beaucoup plus longue qu’on ne pense. la déclaration de Cambridge sur la conscience inclus les céphalopodes (la pieuvre, le poulpe) en plus des vertébrés, c’est à dire des animaux dotés d’un sytème nerveux central, mammifères, poissons, oiseaux. » Cela, qui n’est guère réfutable, devrait nous inciter à réfléchir un peu, du moins les plus éveillés d’entre nous. Ce qui est remarquable encore dans ce roman c’est que l’auteur ne condamne ou ne moralise à aucun moment. il se borne à constater ce qui est. Et, ce faisant, il nous donne à voir lui ce qui est. Libre à chacun alors de voir ou de ne pas voir, de lire ou de ne pas lire. Un livre qui s’adresse directement à notre conscience d’homme, et une magnifique réussite littéraire.
Clément Magneau
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