Janvier 2022, la librairie est ouverte !
Le 1 février 2022 | 0 Commentaires

Nous sommes enfin autorisés à ouvrir à nouveau, dans le respect des règles sanitaires à présent bien connues : port de masque, distance etc.

Cette première lettre du mois de janvier est consacrée à la rentrée littéraire 2022. Beaucoup de belles signatures dont le très attendu Anéantir de Michel Houellebecq mais aussi L’amour, la mer, un superbe roman de Pascal Quignard, un nouveau récit historique d’Éric Vuillard, cette fois sur la guerre d’Indochine, et puis nouveaux romans de deux de vos autrices préférées, Karine Tuil et Julia Deck, La porte du ciel, d’Éric-Emmanuel Schmitt, deuxième tome de sa saga La traversée des temps, et bien d’autres. Enfin, un événement dans le monde des philosophes, la parution de l’édition annotée de l’Éthique sous la direction de Maxime Rovere.  Cette lettre ne suffira pas à couvrir tous les livres que nous avons lus et que nous souhaitons vous recommander, aussi la lettre de février sera également consacrée à cette rentrée littéraire.

Anéantir, Michel Houellebecq

Anéantir
Michel Houellebecq
Flammarion (édition reliée)
Date de parution : 7 janvier 2022
ISBN : 9782080271532, 736 pages, 28.34€

Vous êtes très nombreux à m’avoir demandé ce que je pensais de Anéantir, le dernier livre de Michel Houellebecq.

Il n’aura échappé à personne que ce roman est très long. La longueur en soi n’est pas un problème. La longueur d’Ulysse ou de À la recherche du temps perdu est un élément intrinsèque du caractère unique et génial de ces oeuvres. En revanche, le problème lié à la longueur du nouveau roman de Michel Houellebecq tient au fait que les histoires, dont les sujets sont très distincts, s’imbriquent mal les unes aux autres. Sans déflorer l’intrigue, quatre histoires composent ce roman : attaque et complot terroriste motivé par des raisons écologiques, parcours professionnel et familial d’un haut fonctionnaire, une élection présidentielle et l’horreur d’une maladie foudroyante et terminale. Si l’on retrouve le style très caractéristique de Houellebecq et en particulier la précision quasi chirurgicale de ses description, quel qu’en soit le sujet, le roman pèche par sa construction. Il est aussi difficile de ressentir une empathie pour Paul Raison, le personnage principal, un haut fonctionnaire désabusé qui traine son spleen dans les couloirs déserts du ministère du budget à Bercy. Schopenhauer, source d’inspiration permanente de Michel Houellebecq, n’est pas loin ! En revanche nous retrouvons Houellebecq à son meilleur dans la dernière partie du roman. Précision, style toujours aussi plat mais envoûtant parce que lancinant, Paul Raison commence (enfin) à prendre de l’épaisseur quand il est confronté à la maladie. Les admirateurs de Michel Houellebecq, et même ceux qui ne sont pas des inconditionnels de cet auteur éminemment médiatique, auront du plaisir à lire ce long roman et mettrons sûrement de côté les imperfections narratives et de construction.
Pierre-Pascal Bruneau

L’amour, la mer, Pascal Quignard

L’amour, la mer
Pascal Quignard
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution :  6 janvier 2022
ISBN : 9782072805387, 400 pages, 23.98€

Beaucoup se souviendront de Tous les matins du monde, roman de Pascal Quignard
(Gallimard, 1991), superbement adapté à l’écran par Alain Corneau, qui relatait la vie imaginaire d’un personnage réel, Jean de Sainte Colombe, musicien et gambiste virtuose du XVIIème siècle. Pascal Quignard revient ici à ses passions, la musique ancienne, la peinture, celle de Nicolas Poussin et de ses contemporains et surtout l’amour. Il nous raconte le parcours amoureux, musical, la vie, de la jeunesse à la mort, de plusieurs musiciens et musiciennes du XVIIème siècle, instrumentistes et compositeurs. Un récit envoutant, polyphonique, un roman qui se lit comme une partition, avec ses changements de rythmes et ses cadences, ses mouvements rapides ou lents. L’écriture de Pascal Quignard emporte, émeut et parfois même bouleverse : L’amour, la mer, l’autre événement de cette rentrée littéraire 2022.
Pierre-Pascal Bruneau

La décision, Karine Tuil

La décision
Karine Tuil
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 6 janvier 2022
ISBN :  9782072943546, 304 pages, 21.80€

« Mon métier, c’est l’appréciation de la dangerosité mais aussi croire en l’être humain« . page 198

Nous sommes en 2016 et la juge antiterroriste Alma Revel doit prendre une décision essentielle : libérer ou non un jeune homme revenu de Syrie, peut-être membre de l’Etat islamique.
Le roman, à la première personne, nous livre les inquiétudes, réflexions et doutes d’Alma. Nous la suivons aussi dans sa vie familiale et amoureuse, de plus en plus compliquée par les interférences entre la sphère personnelle et l’engagement professionnel. Elle doit aussi, en tant que femme mariée mère de trois enfants, décider de la survie de son couple. Les chapitres alternent avec les comptes-rendus d’interrogatoire entre la juge et le suspect. La décision est prise, le drame surgit… Karine Tuil, très documentée, nous livre un récit qui permet de saisir la réalité et les difficultés de l’acte de juger. Dans un style précis, le récit montre le moment où, dans une vie, tout peut basculer. Un livre intéressant qui continue la réflexion de l’autrice sur notre monde tel qu’il va.
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé

Porca miseria, Tonino Benacquista

Porca miseria
Tonino Benacquista
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 6 janvier 2022
ISBN : 9782072953767, 208 pages, 18.53€

« Si je ne m’en donne pas l’autorisation, qui le fera ? Qu’on me laisse me casser les dents sur le réel, que je compte justement subvertir et transfigurer. Les premiers mots du matin seront : Il était une fois.  » Page 123

Tonino Benacquista, dont on connait l’œuvre romanesque ou scénaristique, nous offre ici un lumineux récit autobiographique, dédié à son grand-père.
Fils d’immigrés italiens, mais lui-même né en France, l’auteur nous livre un texte sensible, touchant, sans complaisance ni pathos. Fidèle à sa manière enlevée, souriante et lucide, Benacquista retrace son parcours de presque autodidacte. Certes, ses parents ne peuvent l’aider, ses frères et sœurs, plus âgés, ont d’autres soucis, l’école ne lui convient pas de prime abord, mais… mais, il y a la découverte de la fiction ! Le lecteur découvre alors un enfant qui n’aime ni ne veut lire mais comprend la puissance de la fiction, puis de la création littéraire. Au cours du récit, c’est un hommage au cinéma et à l’école de la République qui lui ont fourni émotions, matières à réflexion, modèles (à suivre ou à refuser), révélations, encouragements.
La confrontation des différents destins des membres de la famille souligne l’importance du déterminisme, la difficulté de l’immigration, le pouvoir de la langue. A ces destins réels, l’auteur ne peut s’empêcher, suivant la méthode qu’il nous livre, d’ajouter les destins potentiels, si le réel avait été vaincu par la fiction.
Le lecteur se prend d’amitié pour celui qui, ayant refusé d’être « un rital », est devenu, pour notre plus grand plaisir, un enthousiaste amoureux des mots.
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé

La Muse Rouge, Véronique de Haas, Prix Quai des Orfèvres 2022


La muse rouge
Véronique de Haas
Fayard
Date de parution : 3 novembre 2021
ISBN : 9782213721323, 448 pages, 9.71€
Le Prix du Quai des Orfèvres est décerné sous la présidence du directeur de la Police Judiciaire. Il récompense chaque année un roman policier inédit.

« Victor frissonna.
– Non, Pierrot, je ne connais pas vraiment la misère. Mais toi, tu la connais, n’est-ce pas ?
Pierrot reçu cette question comme une main tendue. Son regard s’adoucit. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, comme s’il avait compris que l’homme bien élevé, bien nourri, bien habillé qu’il avait en face de lui ne lui ferait aucun mal et qu’il pouvait lui faire confiance.
 » Page 349

De retour de la guerre 14, où il a subi l’horreur des tranchées et une terrible blessure, Victor Dessange reprend son métier de policier : il est inspecteur à la brigade Criminelle. L’intrigue s’ouvre sur la découverte d’un corps violemment poignardé ; celui d’une prostituée, dont la mort n’inquiète pas outre mesure. Puis, un diplomate chinois est assassiné… L’affaire est confiée à la brigade Criminelle. Le lecteur suit alors l’inspecteur Victor Dessange et son jeune adjoint, Maximilien Dubosc, dans le Paris des années 1920, dans une enquête pleine de rebondissements. Un autre personnage, Pierrot, gamin des rue débrouillard, vif et intelligent permet au lecteur d’entrer dans le monde de La Muse rouge, groupe d’anarchistes, libres penseurs et artistes.
Le jury du Prix du Quai des Orfèvres, fidèle à son habitude, ne s’y est pas trompé : il s’agit là d’un très bon roman policier. Les personnages principaux sont attachants et l’imbroglio politico-financier tient le lecteur en haleine. En plus de cela, Véronique de Haas, très bien documentée, nous restitue avec brio le Paris de l’époque. Le contexte historique est rigoureusement exact et le récit fait revivre toute la société de l’après-guerre : enjeux politiques, affairisme, colonialisme, déterminisme social, syndicalisme, cercles anarchistes, artistes miséreux ; tout y est, jusqu’à l’argot de l’époque !
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé

Une sortie honorable, Éric Vuillard


Une sortie honorable
Éric Vuillard
Actes Sud
Date de parution : janvier 2022
ISBN : 9782330159665, 208 pages, 20.17€

« La consanguinité, la cognation, la filiation, l’hérédité et le lignage ne devraient pas être réservé aux sauvages de l’Amazonie. Le 8ème ou le 16ème arrondissement de Paris, au coeur de ce triangle sacré, offrent l’occasion d’une étude poussée et détaillée de ce que l’on appelle ordinairement la famille . »

Éric Vuillard, qui a reçu le Prix Goncourt en 2017 avec l’Ordre du jour (Actes Sud) et dont vous avez tous aimé, La tristesse de la terre, son formidable livre sur Buffalo Bill (Actes Sud, 2014), sait trouver des angles originaux pour raconter l’Histoire. Ses romans historiques sont fascinants pour cela : l’Ordre du jour met en scène une réunion, dans une Allemagne nazie naissante, des hauts responsables des plus grands groupes industriels de l’époque. À L’ordre du jour de la réunion, la décision ou non de financer le régime nazi et en particulier de lui apporter le soutien financier massif nécessaire au réarmement de l’Allemagne.
Une sortie honorable nous transporte d’abord en Indochine en 1923, dans les exploitations d’hévéa des pneumatiques Michelin, puis en 1950 au cœur des débats à la chambre des députés lesquels doivent décider de la réponse à donner aux propositions du président Hô Chi Minh. Éric Vuillard est absolument féroce, parfois drôle, mais le sujet s’y prête peu. Il brosse des portraits au vitriol des parlementaires de la quatrième république et nous montre comment la France s’est enlisée dans cette guerre. Peu sont épargnés. Pierre Mendes France, qui était favorable à la conclusion d’un accord avec les vietnamiens pour mettre fin à la guerre, en sort indemne. Si tout est vrai, ce qui est probable, même si le romancier, pour les besoins des ressorts classiques du roman, force le trait, on est effaré par les conséquences désastreuses et tragiques de ces débats.
Pierre-Pascal Bruneau

Monument national, Julia Deck

Monument national
Julia Deck
Éditions de Minuit
Date de parution : janvier 2022
ISBN : 9782707347626, 208 pages, 18.53€

Le monument national est un être bien vivant. Gloire du cinéma français, après une belle carrière et trois mariages, Serge Langlois coule des jours heureux dans son château près de Fontainebleau, entouré de sa « famille », sa jeune femme, ses enfants et toute une équipe qui est aux petits soins pour lui. Julia Deck marche, avec ce nouveau roman, sur les brisées de Georges Simenon qui, dans les Volets Verts, racontait l’histoire d’un grand acteur (tout le monde à l’époque avait reconnu Raimu) qui s’amourachait d’une très jeune femme. Évidemment, les choses ont changé (pas tant que cela) et Julia Deck nous plonge dans le monde des gens célèbres qui fascine et fait rêver les midinettes. Plusieurs destins s’entremêlent, histoires de jalousie, histoires de couple, on y entrevoit même le couple présidentiel qui reçoit le « monument », histoires d’héritages, tout y est dans ce Dallas ou ce Dynasty à la française.
Pierre-Pascal Bruneau

Le sang des bêtes, Thomas Gunzig


Le sang des bêtes
Thomas Gunzig
Au Diable Vauvert
Date de parution : 6 janvier 2022
ISBN : 9791030704525, 208,17.44€

« En vingt-quatre heures, l’action héroïque qu’il pensait avoir posée avait fait de sa vie un torchon pathétique. » Page117

Dès les premières lignes, nous sommes dans les pensées de Tom, le jour de ses cinquante ans. Ce sportif, désormais responsable d’un magasin de compléments alimentaires et de protéines pour bodybuilders, est morose, il est fatigué ; fatigué de tout : sa vie, son travail, son couple, son fils, son père… lui-même ! Il assiste alors à une scène qui semble le réveiller : un homme se comporte mal avec celle qui l’accompagne ; mais Tom n’agit pas, du moins, pas cette fois. Quelque temps plus tard, quand la scène se reproduit, enfin vivant, Tom intervient ! Là, tout bascule : le voilà acteur et responsable ; il ramène cette femme chez lui. Chaque personnage de la cellule familiale se voit mis en question par l’arrivée impromptue de l’étrangère…
Au cours de ce récit enlevé, souvent drôle, parfois sévère, à l’écriture fluide, Thomas Gunzig évoque tous les thèmes qui agitent notre société contemporaine, de la cause animale à l’identité personnelle. Il est aussi question du corps, de la vieillesse, de la maladie, du couple. L’intrigue, qui tient à la fois du réalisme et du conte surréaliste, permet de poser les questions sans lourdeur ni jamais donner de leçon. Voilà un récit plaisant et étonnant que l’on dévore avec plaisir !
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé

La traversée des temps, tome 2, la porte du ciel, Eric-Emmanuel Schmitt

La traversée des temps, tome 2, La Porte du ciel,
Eric-Emmanuel Schmitt
Albin Michel
Date de parution : 3 novembre 2021
ISBN : 9782226450234, 576 pages, 24.96€

L’éternité n’empêche pas l’impatience : Noam cherche fougueusement celle qu’il aime, enlevée dans de mystérieuses conditions. L’enquête le mène au Pays des Eaux douces la Mésopotamie où se produisent des événements inouïs, rien de moins que la domestication des fleuves, l’irrigation des terres, la création des premières villes, l’invention de l’écriture, de l’astronomie. Noam débarque à Babel où le tyran Nemrod, en recourant à l’esclavage, construit la plus haute tour jamais conçue. Tout en symbolisant la grandeur de la cité, cette Tour permettra de découvrir les astres et d’accéder aux Dieux, offrant une véritable  » porte du ciel « . Grâce à sa fonction de guérisseur, Noam s’introduit dans tous les milieux, auprès des ouvriers, chez la reine Kubaba, le roi Nemrod et son architecte, son astrologue, jusqu’aux pasteurs nomades qui dénoncent et fuient ce monde en train de s’édifier. Que choisira Noam ? Son bonheur personnel ou les conquêtes de la civilisation ? Dans ce deuxième tome de la saga La Traversée des Temps, Eric-Emmanuel Schmitt met en jeu les dernières découvertes historiques sur l’Orient ancien, pour nous plonger dans une époque bouillonnante, exaltante, prodigieuse, à laquelle nous devons tant. (Note de l’éditeur)

PHILOSOPHIE

L’Éthique, Bento de Spinoza, édition annotée et traduite sous la direction de Maxime Rovere


L’Éthique
Bento de Spinoza
Édition annotée et traduite sous la direction de Maxime Rovere
Flammarion
Date de parution : 10 novembre 2021
ISBN : 9782081513839, 880 pages, 38.15€

Maxime Rovere, « spinosiste » s’il en est, auteur de la traduction de la correspondance de Spinoza et du Clan Spinoza, par lequel il nous a fait redécouvrir Spinoza au travers des échanges qu’il a eu avec les intellectuels de son temps, mettant ainsi à bas beaucoup d’idées reçues, s’est attaqué à un travail colossal : traduire à nouveau L’Éthique, en l’annotant. Le résultat est stupéfiant ! Il l’est d’abord parce que tout est parfaitement lisible, clair et compréhensible. Le positionnement des notes, établies par lui-même et cinq experts internationaux, non en bas de page ou en fin de volume, mais après chaque chapitre, en rend la lecture facile. Tout, ou presque, s’éclaire et ce dès la première page. Vous apprendrez (note 7) que le vrai prénom de Spinoza est Bento, celui de Baruch lui ayant été affublé et « imposé à la postérité » par ses détracteurs antisémites. Vous comprendrez que le coeur même de l’Éthique, repose sur une approche « rationaliste », quasi mathématique, de nos facultés de raisonnement, notre intellect, de sorte que l’Éthique est accessible et s’adresse non pas exclusivement aux érudits mais bien à tout le monde (page 9). Je suis prêt à parier que cette nouvelle traduction annotée va devenir pour nombre d’entre vous un livre de chevet. À savoir si pour moi il détrônera ma vieille édition OMNIBUS en deux volumes de la Recherche, c’est une autre histoire !
Pierre-Pascal Bruneau