Il n’est guère de moment plus propice à la lecture que l’été. Lire, les volets clos pour se protéger de la chaleur, mais fenêtre ouverte pour laisser passer l’air, ouvrir à nouveau ces livres que l’on n’avait, faute de temps, pas réussi à terminer l’été passé et que l’on retrouve comme ces amis de province que l’on ne voit qu’aux vacances, entrer à nouveau dans l’univers de ces auteurs dont on se garde la lecture pour ces moments de calme pendant lesquels la frénésie de la grande ville ne viendra pas nous interrompre, l’été c’est bien cela, pouvoir se retrouver enfin seul avec ses livres ! Patrick Modiano dit bien cette nécessité de se couper du monde pour mieux lire, ressentir et comprendre : « Seule la lecture de ses livres nous fait entrer dans l’intimité d’un écrivain et c’est là qu’il est au meilleur de lui-même et qu’il nous parle à voix basse sans que sa voix soit brouillée par le moindre parasite. »
Alors cet été lisez et entrer dans l’univers des auteurs que vous aimez mais aussi de ceux que vous proposons de découvrir. Comme chaque année, nous vous proposons des livres pour les vacances, des livres publiés récemment, mais aussi des romans plus anciens et quelques bandes dessinées, tous à lire sans modération !
Une vraie mère… ou presque
Didier van Cauwelaert
Albin Michel
Date de parution : 2 mai 2022
ISBN : 9782226474391, 208 pages, 21.69€
Didier van Cauwelaert a beaucoup d’imagination. Il adore les personnages hors normes et excentriques et il a le don de les placer dans des situations invraisemblables qu’il parvient à rendre parfaitement crédibles. Dans l’océan d’introspection et de tristesse qui caractérise le roman français contemporain, les livres de Didier van Cauwelaert, par leur drôlerie et leur originalité font souvent exception. Partant de l’astuce connue et usitée qui consiste à attribuer excès de vitesse et autres contraventions aux vieilles dames de la famille qui ne conduisent plus depuis longtemps et qui sont détentrices d’un permis riche de tous ses points, Didier van Cauwelaert va plus loin. La mère du narrateur ne conduit plus, et pour cause, puisqu’elle est morte… Tout va pour le mieux jusqu’à ce que la De Cujus se trouve convoquée pour un stage qui lui permettra de récupérer les points (utilisés indument par son fils indigne). Ces points, le fils en a grand besoin. Alors comment faire ? Faut-il ressusciter l’excentrique et peu maternelle Mama ? Un livre léger et drôle, qui décrit avec justesse la complexité des rapports mère-fils : un roman parfait pour vos vacances.
Pierre-Pascal Bruneau
Le jeune homme
Annie Ernaux
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 5 mai 2022
ISBN : 9782072980084, 48 pages, 8.72€
C’était à la fin du siècle dernier, Annie Ernaux avait cinquante-neuf ans. Un étudiant d’une vingtaine d’années ne cesse de lui écrire. Elle finit par céder à ses avances et accepte de le rencontrer. Débute une histoire d’amour passionnée et intense qui la projettera trente années en arrière, du temps de sa vie étudiante à Rouen. « Le jeune homme », dont le nom ne nous sera pas révélé, est issu, comme Annie Ernaux, d’un milieu modeste de province. Le manque d’argent, mais aussi tous les stigmates et les comportements propres à cette classe sociale, dont Annie Ernaux est parvenue à s’extraire, elles les retrouvent, identiques, intacts, tous ces signes qui font la « distinction » bourdésienne et clivent les classes sociales françaises. Annie Ernaux domine et éduque cet étudiant et retrouve à son contact un langage parfois brutal et vulgaire qu’elle croyait oublié, domestiqué. Un court récit, sensible et cru, sans détours ni artifices, écrit dans un style direct, presque plat, qui caractérise toute l’oeuvre d’Annie Ernaux.
Pierre-Pascal Bruneau
La disparition de Perek
Hervé Letellier
Gallimard, Folio Policier (nouvelle édition)
Date de parution : 26 mai 2022
ISBN : 9782072965227, 160 pages, 12.10€
Suite au succès de L’Anomalie, l’éditeur a eu la bonne idée de rééditer La disparition de Perek de Hervé Le Tellier. Il s’agit d’une des nombreuses enquêtes du Poulpe, jeune détective dont les aventures sont racontées, chaque fois, par un écrivain différent, selon l’idée de son créateur, Jean-Bernard Pouy, et suivant toujours la même structure. L’intérêt de (re)lire tient en particulier au saut dans le temps : nous voilà bien avant les portables, internet et autres technologies ! En plus, bien sûr, le lecteur a le plaisir de retrouver l’humour et l’efficacité de Le Tellier. Quant au nœud de l’intrigue, qui était avant-gardiste, il reste d’actualité ! Bref, un petit polar qui a bien traversé le temps et tient ses promesses : simple, efficace, plaisant !
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 19 août 2021
ISBN : 9782072949883, 400 pages, 22.89€
« J’aimais beaucoup le ciel pâle du soir qui éteignait la couleur des toits. Mais il y avait une certaine heure, entre le coucher du soleil et la nuit, où le ciel devenait violet. Au fur et à mesure qu’il s’assombrissait, j’étais pris d’une angoisse indéfinissable, écoeurante. Mais la gaieté revenait quand il devenait bleu sombre, puis noir, et qu’apparaissaient les étoiles et de l’autre côté du port, vers l’Opéra, les lumières de la ville. » Page 71
1940, la débâcle, des gens de toutes nationalités et de tous horizons fuient Paris et échouent à Marseille. Helen Dawson, fait partie de ces gens. Anglaise, encore jolie, chanteuse de revue dont l‘heure est passée, de galère en galère, elle échoue dans le quartier du Panier. Elle y habite un minuscule clocheton perché en haut d’un immeuble. Malade, alitée, elle survit là avec ses deux enfants, Pierre, 14 ans et sa petite sœur Liola. À l’été 1942, Helen Dawson doit être hospitalisée. Avant d’être emmenée, elle intime à ses enfants de partir et de se cacher sur les toits. Alors commence une existence extraordinaire pour ces deux enfants qui vont passer plusieurs long mois à vivre sur les toits de ce quartier jusqu’à ce qu’il soit définitivement évacué et dynamité par les allemands. Sur ces toits, les deux enfants y feront des rencontres extraordinaires : un brigadier assassin, champion de billard, un grand érudit, spécialiste de Goethe, frappé de démence, sur lequel veille Stella, sa fille, Mac, un jeune peintre irlandais et tuberculeux, et puis une multitude d’enfants, cousins des « Lost boys » du Peter Pan de J.M. Barrie, mené par Maccia, un jeune italien talentueux, voleur habile et extravagant. Frédéric Verger nous livre ici un récit fascinant, envoûtant, un monde parallèle, sorte de Cour des Miracles perchée dans les nuages où la vie est dure, cruelle et merveilleuse.
Pierre-Pascal Bruneau
Vider les lieux
Olivier Rolin
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 3 mars 2022
ISBN : 9782072844997, 224 pages, 19.62€
« On habite un très vieil appartement, on y a passé la moitié de sa vie, entassé un prodigieux bric-à-brac, journaux, lettres, photos, livres surtout, des livres partout — et puis un jour on est viré, il faut prendre ses cliques et ses claques. Un déménagement, écrit Michel Leiris, c’est une « fin du monde au petit pied », et c’est aussi un jugement dernier : chaque objet, pour être sauvé, est sommé de dire son histoire (…) … alors on se dit que ce chambardement mérite peut-être d’être raconté. On écrit ce livre. » Olivier Rolin
« Vider les lieux », c’est l’injonction que reçoit Olivier Rolin ! Mais comment faire ? Que signifie « habiter » ? Suite au choc de son déménagement imposé, l’auteur nous offre un récit intime de son appartement, de ses lectures, de son quartier parisien, de sa rue, la rue de l’Odéon «la grand-rue du village des lettres». Chaque objet, surtout chaque livre (et ils sont nombreux !) porte en soi un souvenir, raconte une époque, explique une partie de l’identité… Olivier Rolin réunit ainsi des digressions, les digressions que chacun a connu en préparant un déménagement. La découverte de cet « atlas intime », puisque chaque page de garde indique où ce livre a été lu, est un plaisir pour le lecteur qui découvre anecdotes littéraires et souvenirs personnels, à travers le monde. L’auteur invente ainsi, avec brio, dans un style alerte et sincère, une nouvelle forme autobiographique.
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé
Paquebot
Pierre Assouline
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 17 mars 2022
ISBN : 9782072895296, 416 pages, 22.89€
Pierre Assouline nous emmène en croisière et par n’importe laquelle : la croisière inaugurale du Georges Philippard. Nous sommes en 1932. Privilégiés, bourgeois, aristocrates, hommes d’affaires, s’embarquent en ce mois de février pour un long périple qui les mènera en orient, jusqu’en Chine. Comme toujours Pierre Assouline nous apprends un tas de choses, importantes ou petites, comme l’origine du mot paquebot qui nous vient de l’anglais. Certains d’entre vous auront reconnu le nom du bateau et se souviendront de ce qu’il avait à son bord le déjà illustre grand reporter Albert Londres. 1932, c’est peu de temps avant la consécration d’Hitler et l’avénement du Nazisme. Les conversations vont bon train, courtoises, elles sont parfois tendues, notamment celles entre le personnage principal, un libraire spécialisé dans les livres anciens rares et chers, un fervent démocrate et un industriel allemand qui voit d’un bon oeil l’instauration d’un régime autoritaire dans son pays. La croisière sera longue long et les passagers auront largement le temps de faire connaissance. Mais de nombreuses pannes des circuits électriques laissent augurer le pire…
Pierre-Pascal Bruneau
L’arche de la mésalliance
Martin de Viry
Éditions du Rocher
Date de parution : 25 août 2021
ISBN : 9782268105758, 216 pages, 19.51€
En lisant L’arche de la mésalliance vous comprendrez aisément pourquoi Michel Houellebecq « se sent mieux depuis qu’il a découvert marin de Viry ». Les parallèles et les rapprochements, avec Anéantir notamment, sont nombreux, et en particulier le ton du récit, distant et désabusé, souvent amer, parfois cynique, proche de celui de l’auteur des Particules. L’intrigue aurait probablement pu être celle dans des romans du « Maître ». Marin de Viry, décrit avec beaucoup de précision et de justesse le milieu des grands groupes internationaux et les luttes de pouvoir qui ne cessent de s’y dérouler, laissant sur le bas-coté toutes celles et ceux, les trop sensibles et les naïfs, qui n’ont pas su résister aux attaques pernicieuses des Machaviel du corporate world. Complicités, alliances et guerres, ouvertes ou cachées, font rage. S’opposent, sous le regard du Néron local qui les manipule, du moins le croit-il, Priscilla, une brillante féministe anglaise et Marius, un aristocrate français, fin et désabusé, rompu à ces luttes internes. Qui en sortira vainqueur ? Qui obtiendra le poste tant convoité de directeur général ? Un brillant portrait à charge des acteurs et agents d’un capitalisme triomphant et implacable qui a encore de beaux jours devant lui.
Pierre-Pascal Bruneau
La petite chartreuse
Pierre Péju
Gallimard, Folio
Date de parution : février 2004
ISBN : 9782070313303, 208 pages, 10.20€
« Sur l’asphalte trempé, autour d’un corps de poupée désarticulé une flaque rouge sombre commence à s’élargir et de minces filets sanglants serpentent entre les pneus des voitures brutalement immobilisées sous la pluie de novembre. »
Pierre Péju nous raconte la triste et belle histoire d’une petite fille, devenue muette après un accident. Etienne, un libraire amoureux des mots mais quelque peu asocial était au volant. Certes, il n’est pas responsable mais trois vies ont chaviré ce soir d’hiver… Ce beau roman, poignant et lumineux à la fois, est aussi un bel hommage aux mots, au pouvoir de la littérature.
Véronique Fouminet, libraire au Temps Retrouvé
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