Pour ce mois de mai nous avons sélectionné pour vous des essais et des biographies qui nous l’espérons vous captiveront autant que nous l’avons été : nouvel essai de Laure de Chantal sur Sappho, où l’on apprend que le premier écrivain était une écrivaine, un conte d’Érik Orsenna sur le mondes des affaires, drôle et glaçant à souhait, un fort et pertinent plaidoyer, remarquablement documenté, de Lauren Bastide, qui nous montre comment le féminisme peut sauver le monde, un essai remarquable de Silvia Ferrara, professeure de philologie à l’université de Bologne, sur l’histoire de l’écriture et puis un très sympathique recueil, entre essai et littérature, qui réunit les neuf textes d’écrivains contemporains auxquels France Inter a demandé, l’été passé, de raconter une rencontre qui les a touchés tout particulièrement.
Plusieurs biographies ont retenu notre attention : formidable double biographie de Druon et Kessel, de notre plus talentueuse biographe, Dominique Bona, absolument passionnante, touchante biographie de Marie de Saint-Exupéry, la mère d’Antoine, qui a joué un rôle essentiel dans la vie et l’oeuvre du « Petit Prince » et puis la biographie « définitive » de Jean-Luc Godard par « Le » spécialiste de la Nouvelle Vague, Antoine de Baecque et enfin Le Trio des Ardents, de Patrick Grainville, qui nous livre une originale et intelligente biographie, romancée, d’Isabel Rawsthorne, peintre, modèle et muse de Derain, de Balthus et de Picasso. Le Trio des Ardents c’est aussi une biographie croisée, la vie romancée de Giacometti et de Francis Bacon dont Isabel Rawsthorne a été le modèle et l’amante (seule amante que Bacon ait jamais eue).
Enfin, Clément Magneau nous dit combien il a aimé Les diagrammes de Paul, le livre de Daniel Gervais, que nous accueillerons à la librairie pour une dédicace le samedi 10 juin.
Bonne lecture à toutes et à tous,
Pierre-Pascal Bruneau
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 16 février 2023
ISBN : 9782073014009, 176 pages, 21.28€
« Ils découpent en morceaux la proie, je veux dire l’entreprise, pour que l’ogre puisse l’avaler plus agréablement. On appelle cette activité les « fusions-acquisitions »« . p.81
Erik Orsenna sait écrire et décrire. Voila un académicien qui manie la langue française comme personne, pour notre plus grand plaisir. L’ogre, c’est, bien sûr, Vincent Bolloré, dont Eric Orsenna observe le manège, à la longue vue (une Zeiss Victory, merveille de précision et de technologie), depuis son balcon. Erik Orsenna, depuis toujours passionné d’étymologie, souligne que les ogres, dans la classification de Linné (classification des trois règnes, minéral, animal et végétal établie par Carl von Linné en 1758), sont des nécrophages, c’est à dire qu’ils se nourrissent de cadavres, comme les chacals ou les silphes. Banquiers, avocats d’affaires (dont certains sont qualifiés de Rottweilers, vaste programme), sont là pour présenter au mieux la cible, la proie, et élaborer les pièges les plus savants pour la mettre à bas. Cette proie c’est, vous l’aurez deviné, le groupe Hachette. Ce livre amusera et intéressera ceux qui ont suivi ces grandes manoeuvres mais aussi ceux qui n’y comprennent pas grand chose. Le talent d’Erik Orsenna vous donnera l’impression de comprendre ce qui se déroule à huis clos dans l’atmosphère feutrée des salles de réunions où se joue le sort de ces entreprises qui dès qu’elles montrent des signes de faiblesse deviennent la proie des prédateurs, la proie des ogres. Cette opération, qui a tant fait couler d’encre et a provoqué l’émoi, très légitime, des acteurs du monde du livre (à commencer par les libraires), présentée comme un conte par un écrivain de talent, prend une dimension philosophique. Zadig et Candide ne sont jamais loin chez Orsenna.
Si l’on met de côté les passages égrillards sur les pulsions sexuelles d’un presqu’octogénaire et l’ironie permanente qui peut, à la longue, lasser, ce conte moderne est séduisant. Erik Orsenna campe, en peu de mots, avec justesse et pertinence, les personnages qui ont peuplé et peuplent encore le monde politique et financier de la France. Voltaire, Orsenna en a le talent et la méchanceté (plus douce cependant), le sens de la formule, l’intelligence du bon mot : « N’oubliez jamais, cher Erik, que les ancêtres de ce Mitterrand fabriquaient du vinaigre. Comme ceux d’ailleurs du psychanalyste Lacan. On doit pouvoir trouver dans cette ascendance le lien entre le plaisir et l’acidité. Chez ces gens là, on grimace en jouissant. Ou l’inverse. » (page 87).
On rirait bien de tout cela, de ces ogres, des banquiers, avocats, magistrats, hommes politiques et autres comédiens, si la pièce qu’ils jouent, même si elle ressemble à une mauvaise pièce de boulevard, n’était une sinistre tragédie.
Pierre-Pascal Bruneau
Stock
Date de parution : 29 mars 2023
ISBN : 9782234094574, 308 pages, 22.89€
« Sappho, née à Lesbos aux alentours de -700, serait bien étonnée, mais non fâchée, d’apprendre qu’à travers plusieurs avatars et péripéties, elle a été une héroïne, une sage, une démone, une aventurière ou une suffragette, qu’elle est aujourd’hui considérée comme une icône homosexuelle et que la couleur violette symbolise autre chose que les fleurs qu’elle chérissait tant. » p.231Quand on ouvre un livre de Laure de Chantal, on sait que l’érudition sera au rendez-vous, et c’est encore le cas avec son dernier titre. On connait aussi son talent de conteuse et, là encore, le lecteur n’est pas déçu. Il est clair que le plaisir de l’autrice est de partager son savoir, de le rendre agréable et, surtout, d’en montrer l’utile efficacité. Elle expose avec brio la façon dont une interprétation patriarcale de l’Antiquité a détourné, affadi, gauchi l’apport de la civilisation grecque à notre monde moderne. Cette fois, Laure de Chantal nous propose une (re)lecture de la vie et de l’œuvre de Sappho, grande poétesse grecque : Les neuf vies de Sappho, le premier écrivain est une écrivaine. On découvre alors une jeune femme qui, la première, a osé écrire « je » mais dont une grande part de l’œuvre est, malheureusement, perdue. Celle que Socrate reconnaissait comme « la dixième muse », qui a inventé une nouvelle métrique, une nouvelle voix, n’a cessé d’être admirée, copiée, condamnée, effacée, redécouverte. Voilà pourquoi Laure de Chantal nous propose ses « neuf vies » c’est-à-dire les diverses facettes de Sappho qui ont été transmises à travers l’Histoire. Finalement, toutes ces « métamorphoses » imposées à la poétesse dont on ne sait avec certitude que peu de choses en disent long sur les époques qu’elles traversent… jusqu’à la nôtre !
Véronique Fouminet
France Inter et Gallimard, Hors Série Littérature
Date de parution : 6 avril 2023
ISBN : 9782073016539 , 208 pages, 22.43€
« Le diable, c’est quand on ne le rencontre pas qu’il faut commencer à se méfier. » François Sureau p. 17
« Je crois, moi, que les livres ont le droit – et même le devoir – d’interroger le monde, de décrire le rapport flottant que nous entretenons avec lui, de nous proposer un voyage vers une intelligence meilleure de notre vie. » Hervé Le Tellier p.74
Tout au long de l’été 2022, France Inter a demandé à neuf célèbres écrivains contemporains de raconter une rencontre qui les a touchés tout particulièrement. Chacun a écrit un texte original. Ces Brèves rencontres ont été lues par leurs auteurs à l’antenne ; vous pouvez désormais les lire. Chacun était libre de narrer une rencontre réelle ou imaginaire, tous ont choisi un thème littéraire, chaque lecture demande une trentaine de minutes. L’intérêt d’un tel recueil est, bien sûr, de passer allègrement d’un style à l’autre, d’une époque à l’autre mais aussi de saisir un peu le lien particulier que chacun entretient avec la littérature. C’est aussi l’occasion d’écouter les auteurs puisqu’un QR code, en fin de volume, après une intéressante bibliographie, renvoie aux diffusions. Une lecture fort agréable, qui donne au lecteur l’impression de rencontrer les neuf auteurs et l’envie de revoir ceux dont ils parlent.
Véronique Fouminet
Futur.es, Comment le féminisme peut sauver le monde, Lauren Bastide
Éditions Allary
Date de parution : 6 octobre 2023
ISBN : 9782370734181, 308 pages, 22.89€
« Quand on commence à regarder le monde sous le prisme féministe, on finit forcément par en arriver là. Réfléchir au sexisme, ça amène en ligne droite à réfléchir au sort des malades, des migrant.es, des handicapé.es, de la nature, des animaux, de tout le vivant en somme. » p.243
Lauren bastide a accompli un important et passionnant travail de recherche sur l’histoire du féminisme et ses multiples courants de pensée. Elle analyse, en s’appuyant sur de solides sources, pourquoi les femmes sont vouées au silence et au dénigrement dans une société dominée depuis toujours par les hommes. Charge mentale, double peine, féminicide, tel est le lot des femmes encore aujourd’hui. Seule une minorité de femmes, qui évoluent dans des milieux privilégiés blancs, a réussi à sortir du schéma patriarcal. Lauren Bastide cite, parmi beaucoup d’autres autrices, Valérie Solanas, qui, dans son célèbre Scum Manifesto (1967), souhaitait éradiquer définitivement les hommes de la surface de la Terre. Les hommes étant source de tous les maux et malheurs du monde, de la guerre aux génocides jusqu’à la destruction de notre planète, leur disparition serait la solution la plus radicale et la plus efficace pour mettre un terme, avant qu’il ne soit trop tard, à nos malheurs. Force est de reconnaitre que le bilan de millénaires de domination masculine est pour le moins consternant.
Ce n’est pas, ce n’est plus, ce que veut Lauren Bastide. Ce qui m’a paru particulièrement intéressant dans son plaidoyer, et Virginie Despentes, dans son dernier livre Cher Connard, l’évoquait également, c’est le désir d’écouter et de dialoguer avec les hommes. Ce n’est ni la répression, qui, preuves à l’appui, est sans effet parce qu’elle ne touche que les pauvres et les non-blancs, ni la confrontation, ni la violence, qui permettront de réformer les mentalités pour parvenir à un monde meilleur. La répression et la violence ne mènent à rien. Seul le dialogue et l’ouverture nous sauveront. L’autrice passe en revue tout ce qui ne va pas dans notre société patriarcale et explique pourquoi nous sommes loin d’une société égalitaire. Elle propose des solutions consensuelles et fait preuve d’un esprit nouveau parmi les féministes. Ainsi qu’elle le souligne fort justement, la plupart des problèmes du monde ont pour origine les abus des dominants sur les dominés. Ces abus concernent effectivement à la fois les hommes et les femmes. Pourtant, pour Lauren Bastide, seul le féminisme, en ayant recours aux qualités dites féminines (aujourd’hui dénigrées et dévalorisées), pourra sauver le monde. N’est-ce pas un peu paradoxal ? Ou bien s’agit-il d’un nouveau féminisme qui inclurait les hommes dans le processus, et dont les efforts, joints à ceux des femmes, permettraient de sortir du schéma dominant-dominé ? Si c’est cela, nous ne pouvons qu’être d’accord avec Lauren Bastide.
Pierre-Pascal Bruneau
Point, Collection Histoire
Date de parution : 3 juin 2022, et le 7 janvier 2021 pour la première édition (Seuil)
ISBN : 978-2757896358, 336 pages,12.65€
« Prenez le manuscrit de Voynich, ajoutez de la testostérone, des stéroïdes, un bon verre de Valpolicella et vous vous retrouvez avec le Codex Seraphinianus (CS) entre les mains. En vous parlant, je vous impose un saut et une digression, car le CS n’a rien à voir avec une écriture inventée. Ou plutôt, tout y est inventé. Le problème est qu’on ne peut pas parler d’écriture. » p. 195
Silvia Ferrara est professeure de philologie mycénienne à l’université de Bologne et responsable du programme de recherches européen consacré aux inventions de l’écriture (INSCRIBE)… voilà qui suffit à indiquer son niveau d’expertise. Mieux encore, elle est une chercheuse passionnée et une conteuse passionnante ! Evidemment, l’ouvrage est riche, très riche, précis et clair mais il est aisé de suivre les démonstrations, tant la spécialiste laisse entendre sa voix, son humour, ses enthousiasmes, ses doutes, ses convictions. Que le lecteur ait ou non des connaissances en la matière, il se laisse facilement guidé à travers les inventions que connut l’écriture (les illustrations aident aussi). Cette somme permet aussi d’actualiser d’anciens savoirs, ainsi les travaux récents montrent que, contrairement à une idée reçue, l’écriture, dès ses débuts, était liée à l’imaginaire, non à l’utilitaire. Un ouvrage captivant qui nous rappelle aussi qu’il reste des mystères à résoudre !
Véronique Fouminet
Éditions du Triomphe
Date de parution : 21 avril 2023
ISBN : 9782383860488, 320 pages, 20.59€
« Les journaux parisiens ont annoncé la disparition de l’avion de saint-Exupéry dans le désert…Et pendant ces interminables jours et ces interminables nuits où l’on a perdu la trace du Simoun, Marie refuse d’admettre le pire.(…) Quelque chose, dans son âme de mère, la pousse à croire que son enfant vit. Même s’il est perdu dans le désert, il sera sauvé. » p.226
De 1910, alors qu’il a dix ans, jusqu’en 1944, année durant laquelle, le 31 juillet, Antoine de Saint-Exupéry disparait au large des côtes marseillaises, il écrira assidûment à sa mère. Depuis Montluçon, depuis le désert de Libye, de Cap-Juby, depuis Alger, Casablanca, Rabat, Borgo ou Buenos Aires, il correspondra sans relâche à sa mère. Alors, écrire une biographie de Madame de Saint-Exupéry c’est aussi écrire une biographie de son fils Antoine, tant ils étaient intimement liés, si proches, malgré un éloignement quasi permanent.
À comprendre qui était la mère de Saint-Ex (comme aussi l’importance de Consuelo) et le rôle qu’elle a joué auprès de lui, soutien moral et affectif sans condition, tout autant que dans le processus créatif de son œuvre, on se rapproche de l’écrivain et on comprend mieux encore qui il était. Depuis Dakar, en 1926, il écrit ainsi à sa mère : « J‘écris une grande affaire pour la NRF mais je m’empêtre un peu dans mon sujet. Quand ce sera fini, je vous l’enverrai pour avoir votre opinion. Je vous embrasse tendrement comme je vous aime ». La « grande affaire » dont il s’agit c’est Courrier Sud.
Toujours de Dakar, Saint-Ex lui écrit : » Mais dites-vous, ma petite maman, que vous avez peuplé ma vie de douceur comme personne n’aurait pu le faire. Et que vous êtes le plus « raffraîchissant » des souvenirs, celui qui éveille le plus en moi. »
Michèle Persane-Nastorg a connu Marie de Saint-Exupéry en 1970 alors qu’elle réalisait un documentaire sur Saint-Ex. Veuve à l’âge de vingt-huit ans Marie de Saint-Exupéry s’occupera de ses cinq enfants avec dévotion. Peintre de talent, Marie était dotée d’une grande sensibilité poétique qu’elle transmettra à son fils. D’un indéfectible soutien, elle sera, pendant la vie entière de Saint-Ex, son refuge, son guide, l’encourageant constamment à écrire. Si donc vous aimez Saint-Ex, lisez sans plus attendre la biographie de sa mère. De facture classique, bien documentée, d’un style un peu démodé, parfois lyrique, elle donne néanmoins une impression juste du lien fort et fondateur que Saint-Ex avait avec sa mère.
Pierre-Pascal Bruneau
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution :
ISBN : 9782073015549, 27.50€ »Ils étaient trois cents, le 14 juillet 1940, à défiler de White Hall à Grosvenor Gardens, près de la gare Victoria. Les londoniens s’en souviennent. » p.136
« Jef » et son neveu paraissent comme le feu et l’eau. Kessel est un aventurier bouillonnant, il rêve de samovars et d’airs tziganes, alterne opium, sexe et alcools forts, le goût du risque chevillé au corps, et se révèle un sioniste convaincu. De vingt ans son cadet, Druon, lui, s’est construit « une armure, une carapace » : ce fils naturel d’un frère de Kessel (qui s’est suicidé) veut échapper aux démons familiaux en se montrant « solide, organisé, volontaire », écrit Dominique Bona. L’oncle adore les mauvais garçons, le neveu fréquente l’aristocratie terrienne. L’un est un écrivain baroudeur, l’autre « une usine à rois de France », avec sa saga Les Rois maudits, écrite avec l’aide de toute une équipe, avant de devenir un ministre de Pompidou droit dans ses bottes réactionnaires. Entre un Kessel fougueux à l’excès et un Druon fatalement plus terne, Germaine Sablon se révèle la plus attachante des trois protagonistes de ce livre. La plus loyale. Et la première à s’engager dans la Résistance, dès juillet 1941. (Note de l’éditeur)
Seuil, Collection cadre Rouge
Date de parution : 6 janvier 2023
ISBN : 9782021523508, 352 pages, 24.72€
« Bacon, lui, déploie son cortège hurlant. Pendant plusieurs années. Il décline ses papes, bleu nuit, hâves, traqués, acculés, dans leur cage de verre, gommés, bleuâtres. Dans les enfers des fonds géométriques, lignes orthogonales, implacablement nettes. Tracés d’or pour les papes. Fouiller dans la nuit du cri, extraire l’effroi maximal, l’épingler dans une grille aux mathématiques savantes. Rehausser l’horreur d’une préciosité formelle. » p.98
« Derrière chaque grand homme se cache une femme« , la phrase est de Fabien Sullivan Grandfils. Giacometti et Francis Bacon n’échappent pas à la règle. Merci à Patrick Grainville d’avoir mis en lumière le rôle et l’influence qu’Isabel Rawsthorne a eue sur Giacometti et sur Francis Bacon. S’agissant de Bacon, Patrick Grainville rend magnifiquement l’atmosphère du Londres des années soixante. Il sait parler des œuvres et des artistes. Ici, pas de ces commentaires désespérément descriptifs et creux comme on en lit trop souvent. Il ressent et comprend tout particulièrement la peinture de Bacon, et parvient à nous faire ressentir la puissance de ses œuvres.
Pierre-Pascal Bruneau
Grasset
Date de parution : 26 avril 2023
ISBN : 9782246834380, 960 pages, 44.85€
Antoine de Baecque avait déjà publié une biographie de Jean-Luc Godard, en 2010. Il a également co-écrit, avec Serge Toubiana, une monumentale biographie de François Truffaut. Sa première biographie, déjà substantielle, tant par la taille que par la profondeur des analyses, est complétée, dans cette nouvelle édition, par un chapitre sur la dernière période de la vie du cinéaste, de 2010-2022, qui est intitulé “Au Contraire”. Indispensable pour les inconditionnels de la Nouvelle Vague.
Pierre-Pascal Bruneau
Les diagrammes de Paul, Daniel Gervais
Éditions Vérone
Date de parution : 7 février 2023
ISBN : 9791028424794, 304 pages.
Dans Les diagrammes de Paul, de Daniel Gervais, le personnage de Paul est un Candide moderne qui nous vient tout droit du Québec, avec son innocence native et son parler populaire de la belle province.
Venu pour quelques jours en France afin d’assister aux Francofolies de La Rochelle, il y fait la rencontre d’une jeune femme, qui va prendre pour lui la forme d’un destin aussi imprévisible que douloureux, alors qu’il pensait tout simplement avoir trouvé l’amour de sa vie. Cela se terminera par une gloire factice d’artiste peintre, fabriquée de toutes pièces par les marchands qui font l’art contemporain ce qu’il est, et par la chute douloureuse dans l’alcoolisme et la dépression, tandis que « l’amour de sa vie » n’en finit pas de batifoler d’un partenaire sexuel à l’autre. Plus dure sera la chute, mais en même temps c’est ce qui le sauvera et le fera revenir à la vie simple pour laquelle il est fait. De retour sur les lieux de son enfance, il finira par trouver le bonheur qui correspond à ce qu’il est et à ce qu’il aime, auprès d’une femme partageant le même goût que lui pour les choses simples et vraies, loin d’une société artificielle de plus en plus déshumanisée, où la valeur suprême se résume pour l’essentiel à l’argent, lequel a désormais remplacé « l’OR », qui fut du temps de Balzac selon les mots mêmes de celui-ci « le spiritualisme de vos sociétés actuelles ». Pour ce qui est de Paul, il se contentera de cultiver son jardin, ce que je trouve personnellement d’une grande sagesse, et assurément le plus grand bonheur qu’on puisse trouver sur cette terre où le malheur abonde.
La langue de Daniel Gervais est sans affectation, simple et directe. C’est tantôt celle du français de France, tantôt celle du parler Québécois (mélange d’ancien français, d’anglo-américain et d’expressions sui generis), qui est sa lange maternelle, autrement dit la langue qu’il a toujours pratiquée avec sa mère, et qui lui vient tout naturellement dans les dernières pages de son livre, avec l’expérience qu’il a vécu et qui l’a mûri.
Un roman original, d’une vérité humaine et d’une fraîcheur d’esprit que n’altère en rien le regard lucide mais nullement aigri de l’auteur. On pense là encore à Balzac, écrivant dans La femme de trente ans : « il faut savoir oublier ses douleurs et se creuser une tombe. » Voila la vieille vérité toujours neuve mais trop souvent oubliée : il faut vouloir se faire du bien, c’est à dire, s’aimer suffisamment soi-même si l’on veut vivre, ou tout simplement survivre en ce monde.
Clément Magneau
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