Novembre est le mois des prix littéraires. Surprises, polémiques, déceptions, triomphes, les résultats sont rarement ceux escomptés. Les premiers seront les derniers, car les favoris autour desquels un important battage médiatique est fait, se retrouvent souvent sans rien, au bord de la route.
Cette année, une fois n’est pas coutume, non seulement il n’y a pas eu de polémique mais le Goncourt et le Renaudot ont été décernés aux deux grands favoris, Houris de Kamel Daoud (Gallimard, la Blanche) pour le premier et Jacaranda de Gaël Faye (Grasset) pour le second.
Le grand prix du roman de l’Académie Française a été décerné à Le Rêve du jaguar, de Miguel Bonnefoy (Rivages) qui reçoit également le prix Fémina. Saluons aussi Han Kang, autrice coréenne qui a reçu le prix Nobel de littérature. Nous avouons avoir découvert, pour notre grand plaisir, cette autrice, dont vous recommandons la lecture. Et puis quelques nouveautés à découvrir d’auteurs qui ont choisi de faire paraître leur livre après la rentrée littéraire et hors de la course aux grands prix, comme le dernier roman de Fabrice Caro ou la pièce de théâtre de Delphine de Vigan. Enfin, plusieurs essais, dont un remarquable travail sur Kafka de Maïa Hruska (Prix Transfuge du Meilleur essai et Prix Malraux de l’essai sur l’art) et un beau recueil de textes d’auteurs de la francophonie.
Bonne lecture à vous toutes et tous !
Goncourt
Houris, Kamel Daoud
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 15 août 2024
ISBN : 9782072999994, 416 pages
« Je suis la véritable trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que nous avons vécu en dix ans en Algérie. Je cache l’histoire d’une guerre entière, inscrite sur ma peau depuis que je suis enfant. »
Voir notre revue dans la Lettre du mois de septembre sur la rentrée littéraire (1ère partie)
Renaudot
Jacaranda, Gaël Faye
Grasset
Date de parution : 14 août 2024
ISBN : 9782246831457, 288 pages
« – Je ne suis pas vexé. Je dis simplement que je suis métis.
– Quoi ?
– Je suis métis.
– Ah oui, métis… Oublie ça. T’es un muzungu. Blanc comme neige, c’est tout. Métis, ça n’existe pas. » p. 58
Voir notre revue dans la Lettre du mois de septembre sur la rentrée littéraire (1ère partie)
Grand Prix du roman de l’Académie Française et Prix Fémina
Le rêve du jaguar, Miguel Bonnefoy
Rivages
Date de parution : 21 août 2024
ISBN : 9782743664060, 304 pages
« On glissa toutes les images dans une enveloppe blanche, coincées entre des cartons protecteurs. Ce fut une procession titanesque de vieilles dames en robes à fleurs et bigoudis qui se dirigea vers la poste, en un seul bloc, après avoir fait une cagnotte, et qui adressa un colis au Cinéma Français, à Paris, France, de toutes les femmes de Maracaibo, État de Zulia, Venezuela. » page 191
Voir notre revue dans la Lettre du mois d’octobre sur la rentrée littéraire (2ème partie)
Prix Nobel de littérature
Impossibles adieux, Han Kang, traduction de Kyunggran Choi et Pierre Bisiou
Grasset
Date de parution : 28 août 2024
ISBN : 9782246831242, 336 pages
» En continuant de nous éloigner de la station de métro, comme des amoureux qui allongent la route pour retarder le moment des adieux, en traversant un nouveau passage piétons déserté, en foulant de nouvelles pages blanches, j’ai attendu. J’ai attendu qu’Inseon brise le silence, et me raconte la suite. » p.86
Gyeongha, la narratrice, est amie de longue date d’Inseon. Alors qu’elle découpe à la tronçonneuse une bille de bois pour en faire un meuble, Inseon se coupe deux doigts. Gyeongha se rend à l’hôpital pour voir son amie qui lui confie la charge d’aller s’occuper de son perroquet resté dans sa maison de l’île de Jeju. Une forte tempête de neige complique sérieusement le voyage.
Ce voyage, qui se déroule presque comme dans un rêve, ouaté par la neige profonde, est l’occasion de revivre le douloureux passé de l’île de Jeju. 1948, la Corée est divisée en deux : au nord, la Corée sous influence Soviétique, au Sud, celle alliée aux États Unis. Des élections sont organisées pour décider de l’indépendance du pays et élire ceux qui le gouverneront. La Corée du Nord refuse d’organiser des élections et une forte contestation des mouvements communistes s’organise en Corée du Sud. Syngman Rhee, un nationaliste proche des américains, est élu en mai 1948. Face à une opposition grandissante, le nouveau président élu proclame la loi martiale. Dans l’ile de Jeju, de violentes manifestations opposent l’armée et la police aux sympathisants communistes. On dénombrera près de 30.000 morts. Cette répression sanglante est passée sous silence pendant des années. Ce ne sera qu’au début du XXIème siècle que le gouvernement de la Corée du Sud, au nom de l’État, présentera des excuses. Impossibles adieux est d’abord un livre sur une amitié forte, un livre sur la puissance de l’imagination. Un livre aussi sur l’importance du souvenir, et de la nécessité de faire le deuil des êtres aimés disparus. Une magnifique évocation et une autrice à découvrir.
Pierre-Pascal Bruneau
Nouveautés
Fort Alamo, Fabrice Caro
Gallimard, Collection Sygne
Date de parution : 3 octobre 2024
ISBN : 9782073085153, 192 pages
« Si tu apprenais que tu fais mourir sans le vouloir des gens qui t’irritent, de par leur comportement ou leur incivilité, tu ferais quoi ? » p.121
Fabrice Caro a le don de créer des personnages pour lesquels notre empathie est immédiate. Est-ce parce que beaucoup de situations dans lesquelles ses héros se retrouvent nous sont familières ? Qui n’a jamais eu le désir de voir anéantir celles et ceux qui nous insupportent et nous agressent par leur incivilité ? Cyril, le personnage principal de Fort Alamo, un doux professeur de lycée, timide (certains diront qu’il manque de caractère), subit, sans réagir, les agressions quotidiennes de la vie en société. Alors qu’un homme, sans un mot ni un regard, vient de passer devant lui à la caisse d’un supermarché, le voilà qui s’effondre, victime d’une crise cardiaque. Parce qu’il a intérieurement maudit le bonhomme et souhaité qu’il soit instantanément frappé par la foudre, et qu’une série d’événements du même ordre survient dans un délai très court, Cyril pense avoir soudainement le don de faire mourir ceux qui le dérangent. Or Cyril est un gentil garçon. Terrifié par ce pouvoir, chaque fois qu’il se prend à maudire un malotru, il essaie très vite de lui trouver des excuses, dans l’espoir qu’il sera épargné. Fabrice Caro, dans un roman un peu plus mélancolique que ses autres livres ou ses bandes dessinées, mêle, avec délicatesse, humour, agressivité, répression et tendresse. Une histoire très actuelle, contée avec sensibilité, qui nous conduit à nous interroger sur notre comportement en famille et en société.
Pierre-Pascal Bruneau
Je remercie la nuit, Véronique Tadjo
Mémoire d’Encrier
Date de parution : 30 août 2024
ISBN : 9782897129842, 312 pages
« Pour Flora, le monde était un triomphe de couleurs. Des lueurs de l’aube au rougeoiement du soleil couchant, les éclats d’ombre et de lumière l’enchantaient. Même les émotions se déclinaient en plusieurs teintes. (…) La vie est un arc-en-ciel qui se montre après la pluie, une création qui ne cesse d’émerveiller. Il fallait avoir connu les ténèbres pour apprécier l’intensité du jour. » p. 131
Le roman s’ouvre sur une scène de voyage, un peu chaotique : deux jeunes femmes, joyeuses, rentrent de vacances, en bus, pour reprendre les cours à l’université d’Abidjan. Le lecteur découvre alors les deux amies, fort attachantes, Flora et Yasmina, que tout oppose en théorie (Nord et Sud, religion, classe sociale, sujet d’étude) mais dont l’amitié est indéfectible. Tout semble en place pour une belle histoire ; mais l’Histoire surgit ! L’élection présidentielle, en 2010, en Côte d’Ivoire, dont le résultat est âprement discuté. Que faire ? Quel camp choisir ? Faut-il choisir ? L’université est en grève, la guerre civile éclate. Flora et Yasmina font des choix divergents, vivent les événements différemment. L’une se réfugie dans sa famille traditionnelle, l’autre s’exprime et doit fuir en Afrique du Sud. Là encore, la vie n’est pas simple. Véronique Tadjo, franco-ivoirienne, universitaire, poétesse, romancière et peintre, offre au lecteur un très beau récit à l’écriture fluide et légère, parfois poétique. Malgré la dureté, la violence des événements, la narration, prise en charge par Flora, reste celle de l’optimisme de la jeunesse. Le lecteur se prend à croire, lui aussi, à la puissance de l’art, à la possibilité de la paix et remercie la nuit, espace-temps de la réflexion et de la création.
Véronique Fouminet
Mon assassin, Daniel Pennac
Gallimard, Collection Blanche
Date de parution : 3 octobre 2024
ISBN : 9782073028501, 160 pages
» L’enfant Lassalve entend encore la voix de la cousine Roxane menacer son père : « Si tu n’obtiens pas ces chaises Directoire, Papidou, tu ne reverras jamais tes petits-enfants ! Jamais, je suis sérieuse. » p.58
Dans ce livre souvenir, livre promenade, Daniel Pennac nous parle des Malaussène, de ceux qui les a inspirés et en particulier Bernard, son frère aimé et disparu (dont il raconte l’histoire dans Mon frère, 2018, Gallimard). Ce frère, qui est « la bonté qui pense », a le pouvoir de consoler le jeune Daniel, immédiatement, sans appel, de façon définitive. Le dernier volume, et second tome du diptyque Terminus Malaussène, Daniel Pennac met plus de cinq ans à l’écrire, car il ne sait « pas quoi mettre dans ce dernier livre ». « La plupart de mes amis deviennent des personnages de mes romans. Mais cet assassin, le Pèpère du tome 2 de Terminus Malaussène que j’ai imaginé sans le connaître, mon épouvantable assassin, d’où vient-il, lui ? »
C’est le point de départ de ce nouveau livre. Dans Mon assassin Daniel Pennac, s’explique. Il parle de lui, de son enfance. Il raconte son expérience de l’école, une scolarité de cancre, de jeune rebelle, potache et espiègle, qui l’a profondément marqué. Et puis, il nous raconte sa famille, dont presque chaque membre a aussi servi de modèle à un des personnages des Malaussène (sauf l’horrible Pépère). Mon assassin réjouira celles et ceux qui ont aimé et suivi la saga, depuis Au bonheur des ogres (Gallimard, 1985) et La Fée carabine (Gallimard 1987), jusqu’à Terminus Malaussène (Gallimard, 2023). À cet égard, je vous recommande d’écouter l’entretien que Daniel Pennac a donné à la librairie Mollat à l’occasion de la sortie de son livre (https://www.youtube.com/watch?v=DuT9sgv5zas&ab_channel=librairiemollat), qui est particulièrement drôle, et nous apprend beaucoup sur l’auteur et son œuvre.
Pierre-Pascal Bruneau
Les derniers jours du Parti socialiste, Aurélien Bellanger
Seuil
Date de parution : 19 août 2024
ISBN : 9782021571165, 480 pages
« Les analystes politique se sont complus à décrire le plus jeune président de la Ve république comme une énigme vivante. Ni de droite, ni de gauche, chantre du « en même temps », volontaire sur les questions de moeurs comme la fin de la vie ou l’avortement, mais respectueux aussi des inquiétudes démographiques de son aile droite, de plus en plus obsédée par la théorie du grand remplacement. Le Chanoine, a-t-on inlassablement répété, n’aimait rien tant que l’ambiguïté, la pensée complexe, les instants périlleux. Tout cela ne relève pourtant que de la mauvaise littérature, faussement profonde et terriblement obséquieuse. » p.292
Aurélien Bellanger a décidément beaucoup de talent. Les derniers jours du Parti socialiste, c’est la chronique, dans une approche à la Balzac, de la vie politique de la France des premiers mois du XXIème siècle jusqu’au début du second mandat du « Chanoine », le président en exercice de la Ve république. Dans ce roman à clés, Aurélien Bellanger, avec virtuosité, imagine, aux côtés des acteurs bien réels de la Ve, des personnages dont on n’a pas trop de mal à identifier qui en sont les modèles. Frayère et Taillevent, (Michel Onfray et Raphaël Enthoven) s’opposent dans des joutes réjouissantes sur ce qu’est la république et sur la place et le danger d’une montée, réelle ou non, de l’islamisme. Dans l’ombre s’agite Grémond, un apparatchik du Parti socialiste, qui a raté une carrière d’élu et qui, par ses manœuvres et manigances, mène le parti à sa perte. Ce qui est le plus frappant dans cet univers absolument clos, c’est la distance, le fossé, qui sépare les politiques des gens, de ceux qui travaillent et produisent. Tout ce petit monde d’intellectuels de haut vol (les échanges et écrits en tous genres, plus vrais que nature, sont d’une éblouissante érudition) s’étripe et se déchire à propos de sujets dont la plupart des électeurs ne se soucient guère. Bellanger montre comment le Parti socialiste et la droite traditionnelle ont disparu pour n’avoir pas compris les véritables enjeux de notre société. Se focalisant et se perdant dans des débats ésotériques et casuistiques, (comme la laïcité), bien loin des questions plus immédiates que sont le pouvoir d’achat ou le salaire des infirmières, ils ont perdu leur électorat. Désenchantement, carriérisme, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit là d’un immense gâchis. Voir tant d’esprits brillants se consacrer à leur ambition personnelle au lieu de servir l’État, donne assez vite la nausée. Si la politique et ses rouages vous intéressent, lisez, sans attendre, cette Comédie Humaine des temps modernes.
Pierre-Pascal Bruneau
Les grandes patries étranges, Guillaume Sire
Calmann Levy
Date de parution : 21 août 2024
ISBN : 9782702184844, 380 pages
» Joseph sentit dans son cerveau une secousse, puis des crépitements. Tout à coup, il voulait être avec cette fille. Il voulait la serrer dans ses bras. Rien d’autre. Il voulait la suivre partout. Fondre en elle. Devenir sa peau. Devenir son ventre. Une vague brûlante le submergea, et il perdit connaissance. » p.34
Un des beaux romans de la rentrée littéraire, oublié des prix, dont nous n’avions pas encore parlé, mérite que l’on s’y attarde. La note de l’éditeur qualifie ce roman de « fresque baroque » et c’est assez juste. La langue de Guillaume Sire, dont c’est le sixième roman, est puissante, d’un style vif et incisif. L’auteur, avec force adjectifs et images, décrit, avec précision, ce que ressentent ses personnages. C’est parfois cru, toujours juste, et donne un ton personnel à son écriture qui convainc, (pour ceux qui apprécient ce style), dès les premières pages.
L’histoire est belle : Joseph perd son père très jeune. Emmanuel, brillant lieutenant, meurt au champ d’honneur pendant la grande guerre. L’enfant, d’une extrême sensibilité, emménage dans une petite maison située dans l’île de Tounis, à Toulouse. Peu de temps après, la famille Helbron, venue de Paris, emménage dans l’appartement du dessous. Ils sont juifs et déjà, dans les années vingt, sont confrontés à l’antisémitisme. Le père, pianiste concertiste de talent, va de galère en galère. Anima, sa fille, brillante, espiègle, brutale, inaccessible, fascine Joseph. Il en tombe éperdument amoureux. Cet amour, alors que la famille Helbron déménage, résistera à tout. Des combats de la résistance à la découverte des déportés hagards qui hantent les couloirs du Lutétia, jamais l’amour de Joseph pour Anima ne faiblira. Le roman, bien construit, met en scène une galerie de personnages pittoresques, comme la Cardinale (qui porte « une robe de chauve-souris »), la mère maquerelle de La Chapelle, la maison close locale, et toute une bande de communistes espagnols réfugiés dans la région pour échapper à la répression des Phalangistes, sans oublier le cochon « Lamour », animal de compagnie d’Anima, dont elle laisse la charge à Joseph. Une belle histoire, donc, tendre et généreuse, sur fond de guerre et de trahisons, qui devrait séduire beaucoup d’entre vous.
Pierre-Pascal Bruneau
Théâtre
Les figurants, Delphine de Vigan
Gallimard, collection Blanche
Date de parution : 3 octobre 2024
ISBN : 9782073083999, 128 pages
» – Bruno. … Moi je suis souvent retenu quand ils cherchent des hommes upper class, mais il y a plus de boulot en populaire.
– Joyce. Ah bon ?
– Bruno. Ben oui, c’est logique.
– Joyce. Et … tu préfères aujourd’hui ou hier ?
– Bruno. Les deux je suis très à l’aise dans le passé aussi. (…) » pp.32-33
Delphine de Vigan consacre sa toute première pièce de théâtre « aux obscurs, aux sans-grades », pour paraphraser Rostand, du monde du cinéma : les figurants. Ils sont invisibles. Ils ne doivent surtout pas attirer l’attention du spectateur, ne pas jouer, faire semblant de parler, danser sans musique etc. Ils sont pourtant indispensables. De façon astucieuse, l’autrice situe le lieu de tournage dans un théâtre. Les rôles principaux du film sont tenus par « la grande-actrice » et le « grand-acteur » que l’on ne voit jamais, mais que l’on entend, parfois. On ne voit pas non plus le metteur en scène, « le grand-réalisateur », mais on l’entend donner des instructions. L’interlocuteur principal des figurants est le « super-assistant », qui communique avec le « grand-réalisateur » à l’aide d’un talkie-walkie. Au bord de l’épuisement et de la crise de nerf, il est sec et distant, quand il s’adresse aux figurants, et soumis, quand le « grand-réalisateur » lui donne des ordres.
La pièce s’intitule « Les figurants » parce que Delphine de Vigan a voulu leur donner la parole et les placer au premier plan. Comme elle le dit elle-même, les figurants répondent à « une injonction d’invisibilité », ils doivent être là sans être là. Pour écrire sa pièce, l’autrice s’est infiltrée, de façon anonyme, sur plusieurs plateaux de tournage, comme figurante. Lors de cette expérience, elle a eu le sentiment d’être face à une véritable lutte des classes. Aspirants comédiens, ou comédiens ratés, s’opposent à l’aristocratie constituée des acteurs, actrices et du metteur en scène. Une figurante lui a confié que beaucoup parmi eux se considèrent comme le prolétariat du cinéma. Delphine de Vigan décrit, depuis les coulisses, comment un film se fabrique. Elle décrit avec justesse la micro société que constitue une équipe de tournage.
Les figurants sont exploités, maltraités. Ils attendent des heures, pour être ensuite bousculés et rudoyés. Mais que se passerait-il si les figurants s’unissaient pour revendiquer un meilleur statut ?
Pierre-Pascal Bruneau
Essais – récits
Alexandre – L’orphelin de la Table Ronde, édition d‘Emanuele Arioli
Belles Lettres
Date de parution : 18 octobre 2024
ISBN : 9782251456362, 178 pages
« Chacun s’efforce de faire preuve de la plus haute vaillance possible. Et pourtant ils maîtrisent si bien l’art du combat qu’on aurait eu de la peine à trouver deux hommes qui en sachent autant en ce temps-là. Lancelot est totalement stupéfait par la grande bravoure qu’il trouve en Alexandre. » p. 116
Nous avions déjà eu le plaisir de découvrir Ségurant, le chevalier oublié, grâce au remarquable travail d’Emmanuel Arioli. Cette fois, le médiéviste nous propose de découvrir Alexandre. C’est au cours de ses recherches pour éditer le récit des aventures de Ségurant que l’auteur découvre un autre personnage, Alexandre l’Orphelin, connu pour son incroyable beauté. Son histoire parcourt toute l’Europe médiévale, puis est oubliée. La voilà redécouverte, grâce à quatorze manuscrits retrouvés en divers lieux, et proposée en français moderne pour la première fois. Tout comme Ségurant, Alexandre évolue dans un univers arthurien peu traditionnel. Certes, les valeurs chevaleresques sont bien là mais ce monde est dominé par les femmes et la passion amoureuse. Alexandre, dont le but est de venger le meurtre de son père, doit affronter plusieurs chevaliers mais, en chemin, il se trouve confronté à la magie et découvre autant l’amour que la chevalerie. Dans cette très belle édition illustrée, Emmanuel Arioli indique les continuations puis donne les débuts et fins alternatifs car cette légende a connu des réécritures jusqu’à la fin du Moyen-Age. Le lecteur est ravi de retrouver l’univers arthurien, mais, un peu plus moderne et teinté d’humour. Encore une fois, un petit bijou !
Véronique Fouminet
Dix versions de Kafka, Maïa Hruska
Grasset, collection Essais Étranger
Date de parution : 4 septembre 2024
ISBN : 9782246839774, 240 pages
« Marcel Proust n’avait pas encore inventé la mémoire involontaire que Kafka découvrait, par l’entremise du yiddish, ce que l’on pourrait appeler la « compréhension involontaire ». Comment une oreille pouvait-elle saisir une langue jamais apprise, à laquelle elle n’avait même jamais été exposée ? » p. 89
Quelle érudition en si peu de pages ! mais quel plaisir de lecteur ! Maïa Hruska, écrivaine franco-tchèque, propose dans ce remarquable essai un voyage à travers les lieux, les époques et les langues des dix premiers traducteurs de Kafka. De Borgès à Vialatte, en passant par Primo Levi, Bruno Schulz ou Paul Celan, ou mêmes les traducteurs russes, dont les textes circulaient « sous le manteau », chacun a une raison spéciale de s’attaquer à cette traduction. Seule Milena Jesenská a réellement connu Kafka, dont elle était le dernier amour. Chaque traducteur, par sa lecture personnelle, porte un éclairage particulier sur l’œuvre. La grande réussite de Maïa Hruska est de nous offrir un texte savant et léger à la fois. Le lecteur est invité à découvrir l’univers du traducteur mais aussi les petites histoires dans l’Histoire qui conduisent à la traduction finale. De remarques linguistiques ou personnelles en citations, en plus de présenter une sorte d’histoire de la réception de l’œuvre kafkaïenne, c’est bien à l’idée même de traduction, ou de multilinguisme, que réfléchit l’autrice. « Traduire, c’est trahir », dit-on habituellement ; ici, traduire, c’est enrichir, dans les deux langues !
Véronique Fouminet
Le goût de la francophonie, textes choisis et présentés par Emmanuel Maury
Mercure de France, Petit Mercure
Date de parution : 5 septembre 2024
ISBN : 9782715264083, 144 pages
« A l’arrivée, la langue française, officielle, est une mariée avec des robes de toutes les couleurs, avec un chapeau de paille, un parfum d’orient et des épices d’Afrique et du monde arabe. Elle est exquise et aussi sexy. » p. 9
Exquise beauté aux mille couleurs, Tahar Ben Jelloun
Les 4 et 5 octobre 2024, se tenait, à Villers-Cotterêts et à Paris, le XIXème Sommet de la Francophonie. Les éditions Mercure de France proposent un excellent recueil de textes préfacé par Tahar Ben Jelloun. C’est l’occasion de se (re)pencher sur cet espace, à la fois linguistique et politique, qui permet à la langue française de grandir et rayonner.
Emmanuel Maury, spécialiste de la francophonie, rappelle que actuellement, « 330 millions de personnes emploient régulièrement le français » (p. 13). Son introduction, brève et efficace, explique clairement l’histoire et les enjeux de la Francophonie, dont la fondation est l’humanisme. Le lecteur peut alors parcourir, à son gré, trois catégories : les précurseurs, les modernes, les contemporains. Chaque texte est précédé d’une courte présentation qui resitue l’auteur et l’extrait. L’intérêt de ce recueil est de faire tenir dans votre poche un grand nombre de grands textes et d’en faire découvrir de moins connus. Evidemment, certains déploreront l’absence de tel ou tel auteur ; faire le tour de la francophonie en quarante textes est une gageure. Il me semble que le défi est relevé. Un recueil à mettre entre toutes les mains !
Véronique Fouminet
Bandes Dessinées
Signé Olrik, Blake et Mortimer, Tome 30, Yves Sente et André Juillard
Éditons Blake et Mortimer
Date de parution : 30 octobre 2024
ISBN : 9782870973097
André Juillard nous a quitté prématurément le 31 juillet de cette année. Il aura tout juste eu le temps de terminer ce trentième album des aventures de Blake et Mortimer. André Juillard en a réalisé plusieurs. En 2000, avec, déjà, un scénario d’Yves Sente, il dessine La Machination Voronov. Puis, toujours avec lui, en 2003 et 2004, parait le le diptyque Les Sarcophages du 6e continent, suivi, en 2006, du Sanctuaire du Gondwana. En2016, il sort un nouvel opus de Blake et Mortimer, toujours avec une histoire d’Yves Sente, Le Testament de William S. Avec Signé Olrik , André Juillard aura ainsi réalisé, avec son ami scénariste, sixaventures des deux héros.Tous ces albums sont fidèles au trait et à l’esprit de Edgar P. Jacobs, le créateur des personnages et ce dernier opus n’échappe pas à la règle.
Nous sommes dans les années cinquante. Un groupe, imaginaire, d’indépendantistes des Cornouailles, le Free Cornwall Group, manifeste avec violence son opposition à l’arrivée de nouveaux migrants économiques. Pour financer leurs nuisibles activités, le groupe a besoin d’argent. Or, une légende veut que le trésor du roi Arthur et Excalibur, sa fameuse épée, soient enfouis dans l’île d’Avalon. Cette île, personne n’a jamais réussi à la trouver. Si elle existe, elle se trouve quelque part parmi les îles des Cornouailles. Olrik, emprisonné dans la prison de Wandsworth, à Londres, vient prêter ses talents au Free Cornwall Group. Le capitaine Blake et son ami Mortimer parviendront-ils, une fois encore, à contrecarrer les plans machiavéliques et noirs de leur éternel ennemi ? Vous le saurez en lisant Signé Olrik !
Pierre-Pascal Bruneau