De l’importance des mots
Le 7 mars 2016 | 0 Commentaires

Notre amitié était une amitié de mots". C’est ainsi que le narrateur du nouveau livre

de Philippe Claudel,  « L’arbre du pays Toraja », publié chez Stock, décrit le lien

fort qu'il avait avec son ami Eugène, son seul ami, brutalement disparu. Philippe

Claudel, grand voyageur, érudit éclectique et sensible, nous fait partager les doutes de

son personnage, un cinéaste tout juste cinquantenaire, ses interrogations sur la mort, la

vie. Mort des êtres chers ou bien celle de milliers d'inconnus, d'aujourd'hui et d'hier.

Mort pour certains peut- être appelée, conditionnée, inconsciemment voulue. Regrets,

amertumes, joies furtives, simples, le narrateur est un homme toujours en mouvement,

en recherche perpétuelle. Ce sont les mots, les livres, le langage, parfois mal

interprété, l'échange avec l'autre, rencontres avec des êtres rares, femmes sublimes en

port d'attache, ces mots qui nous construisent et qui font ce que nous sommes. Un

récit sensuel, subtilement décousu, dont la trame apparait peu à peu. Un beau texte sur

le quotidien, sur la vie.

Un autre livre sur la vie et quelle vie que cette vie là. Jean d’Ormesson dans « Je

dirai malgré tout que cette vie fut belle », Gallimard, se défend et raconte. Elégance

des phrases, des mots choisis, un dialogue entre « lui » et « lui ». Ce qui apparaît

d’abord comme un procédé un peu artificiel s’avère d’une grande efficacité.

Ormesson nous emporte comme lui même a été « emporté par le temps ». Sans doute

une vie riche, vraiment rare, moins facile et légère qu’il n’y paraît. Les mots sont ici

d’un autre temps, d’autres mœurs. Une vie tourbillon, pratiquement un siècle, que

d’images, paysages, personnages réels, historiques, la réalité dépasse de loin la

fiction. Mais qui est-il notre immortel ? Félicie Dubois dans la préface de son beau

livre « Punto Final » cite ce mot de Valery« Nous ne pensons jamais que ce que nous

pensons nous cache ce que nous sommes ». Monsieur Teste aurait-il encore raison ?

Qui êtes-vous vraiment Monsieur d’Ormesson?

« Maintenant tu pars ou je crie…Oui, cette petite phrase inoffensive l’a paniqué ». Ce

sont par ces simples mots qu’Edouard parvient à se libérer de cet amant d’un soir qui

sera son tortionnaire, le blessant pour la vie. Beaucoup a déjà été dit sur le nouveau et

second livre d’Edouard Louis, « Histoire de la violence ». L’écriture, comme dans

son premier livre, directe, simple, percutante, donne un poids particulier aux mots.

Certains comme ces mots « opaques » d’Annie Ernaux dans « la Honte ».

« Histoire de la violence » confirme qu’Edouard Louis n’est pas seulement l’auteur

d’« En finir avec Eddy Bellegueule », un très beau récit autobiographique, mais bien

un véritable écrivain.

« Les mots sont importants, car ce sont eux qui disent la volonté de vivre, la

résistance à la barbarie », Amin Maalouf. Passionnant nouveau livre d’Amin

Maalouf « «Un fauteuil sur la Seine», chez Grasset. Amin Maalouf rend hommage à

ses dix-sept prédécesseurs à son fauteuil sous la coupole. Destin incroyable de

certains personnages oubliés, l’histoire de France, politique, économique, littéraire,

nous est contée dans une langue superbe. Avec finesse et dans un langage poli et lisse

comme une sculpture de Brancusi, Amin Maalouf, au détour de ce voyage dans le

passé de nos académiciens, s’inquiète d’une régression morale croissante et d’un

contrat social qui se délite.

Ces mots qui nous font et nous défont, dits, oubliés puis retrouvés, ce sont aussi ces

poèmes oubliés qu'un sage et doux vieillard avait composés du temps de la "Jeune

Vienne". Arthur Schnitzler, dans "Gloire tardive ", aux éditions P.O.L, un court

roman inédit retrouvé parmi ses archives sauvées des autodafés nazis grâce à

l'intervention du consul britannique à Vienne. Rencontre d'un homme glissant

lentement dans une vieillesse morne mais paisible avec un groupe de jeunes viennois

qui tous semblent vénérer ce poète oublié qui a publié il y a bien longtemps

"Promenades" un recueil de poèmes dont le roman ne nous dira rien ou presque. Ces

artistes, véritable bande d’hurluberlus, en mal de public et d’emploi, emportent notre

poète dans un tourbillon qui lui fait croire brièvement à une reconnaissance, bien

tardive, de son talent. Nous voila plongés dans le Vienne des cafés littéraires et des

brasseries enfumées où les journaux se passent de mains en mains et où l'on boit

beaucoup en déclamant poèmes et vérités fortes. Magnifique langue de Schnitzer,

langoureuse et rythmée comme une sonate de Mozart ou un quintette de Schubert.

Jeunesse

(insérer couverture)

« Benjamin Lely, la disparition » de Nathalie Escalon. Les adolescents, et les bons

lecteurs dès 10/11 ans et plus, devraient aimer ce livre trépidant qui montre que les

auteurs français sont eux aussi capables d’écrire autre chose que des drames

psychologiques. Un livre prenant un peu à la « Harry Potter «  ou « les Insoumis ».

Deux enfants aident leur copain Benjamin à retrouver ses parents. Ces deux

scientifiques, inventeurs géniaux, ont avant leur mystérieuse disparition laissé une

succession d’indices et d’instructions à leur fils Benjamin. Rebondissements

incessants, secte secrète d’inventeurs fous, tout y est pour un suspens assuré et une fin

qui n’en est pas tout à fait une.

Autres nouveautés

Romans

(insérer couverture)

« Golem», de Pierre Assouline, Gallimard. Gustave Meyer est un joueur d’échecs

sexagénaire, accusé du meutre de son épouse. Tel le Golem de la mystique juive, il se

découvre doté artificiellement de facultés mentales hors du commun. Manipulé,

traqué, Gustave Meyer fuit pour comprendre. Référence inévitable au mécanisme de

la mémoire involontaire de notre petit Marcel, Assouline en excellent proustien nous

emporte dans ses propres interrogations sur l’identité juive et les souffrances qui lui

semblent indissolublement attachées. Suivant son chemin de Compostel personnel, il

traverse l’Europe centrale et se trouve aux prises à toutes sortes d’aventures qui le

mènent à Prague où le mystère trouvera son dénouement. Belle écriture, l’intrigue

policière est bien menée mais apparaît un peu secondaire comme un prétexte permet à

Pierre Assouline de nous parler, fort bien, de ce qui lui tient le plus à cœur.

Histoire

(insérer couverture)

« Robespierre : la fabrication d’un monstre », de Jean-Clément Martin, Perrin.

Certes Robespierre n’est pas un ange et tous les historiens sont d’accord pour lui

attribuer une forte responsabilité dans les atrocités, la Terreur et les errements de la

révolution. Pour autant était-il réellement le monstre tel que ses ennemis

thermidoriens l’ont dépeint ? Jean-Clément martin ne réhabilite pas Robespierre mais

nous décrit avec brio comment il n’est ni plus ni moins fanatique, dogmatique et

déterminé que l’ensemble de ses pairs. Robespierre, personnage incorruptible, froid,

austère, représentait le bouc émissaire idéal pour incarner le « monstre »

révolutionnaire.

Essai

(insérer couverture)

Pour en terminer je ne peux évidemment pas résister au plaisir de vous parler de

« Marcel Proust, une vie à s’écrire » de Jérôme Picon, chez Flammarion. Jérôme

Picon a déjà beaucoup écrit et a retrouvé (et oui toujours et encore !) des pages

inédites qui raviront nos amis proustiens. Nouvelles lettres venant s’ajouter aux cinq

mille lettres répertoriées, travail titanesque entrepris par Philip Kolb. Dédoublement,

c’est « au corps neutre » de Proust et à cette dualité, une femme « qui ne me plaisait

pas, qui n’était mon genre », dit Swann en parlant d’Odette, mais de quel genre s’agit-

il ? Jérôme Picon s’attache à décrire, au travers de multiples lettres cette ambivalence,

cette ambiguïté, quasi permanente dans la vie et l’œuvre de Proust. Passionnant !

Les soirées Littéraires du 529

Vendredi 18 mars 2016, Pierre-Jean Brassac

(Insérer couvertures des deux livres)

Le 18 mars Pierre-Pascal Bruneau recevra Pierre-Jean Brassac. Beaucoup

d’entre vous on déjà lu les deux  livres de Pierre-Jean Brassac  sur les Pays Bas "Les

Néerlandais un autoportrait" et  “le Royaume qui portait l’eau à la mer”.

Qui donc sont les néerlandais? Pierre-Jean Brassac en dresse un saisissant portrait et

nos amis bataves auront beaucoup à dire et de nombreuses questions à lui poser.  La

soirée sera sans nul doute très animée!

Pierre-Jean Brassac nous dira aussi comment les douze provinces sont parvenues à

former une nation qui a vu naitre la démocratie tout en préservant sa monarchie. Il

nous parlera d'un pays de paradoxes, alliant un monde calviniste austère à une société

résolument moderne privilégiant bien-être et plaisir.

Nous sommes donc très heureux d’accueillir Pierre-Jean Brassac qui viendra nous

parler de son amour et de sa vision des Pays-Bas mais aussi de bien d’autres sujets qui

lui tiennent à cœur. Auteur d’un nombre impressionnant de livres sur les régions de

France, d’ouvrages de fiction, Pierre-Jean Brassac a également récemment publié un

livre en format bilingue français-néerlandais: "Il n'est d'eau que la mer" (Er is geen

water dan de zee) qui est un Florilège de poésie zélandaise.

Nous n’avons malheureusement, faute de place, pas été en mesure de satisfaire à

toutes les demandes d’inscription à cette soirée. Pierre-Jean Brassac a donc très

gentiment accepté d’être présent le lendemain samedi 19 mars à la librairie pour

dédicacer ses livres de 14:00 à 16:00 heures.

Vendredi 20 mai 2016, Claude Lanzmann

(insérer couvertures des livres « Le dernier des Injustes » et « Shoah »)

Evénement exceptionnel, nous recevrons Claude Lanzmann le vendredi 20 mai

2016, cette fois, hors les murs. Compte tenu du retentissement de cette soirée

l’Institut Français, qui nous aide à organiser cet événement, à la grande gentillesse de

nous prêter la grande salle de la Maison Descartes.

L’entretien sera consacré en grande partie au dernier livre de Claude Lanzmann,

transcription de son film du même titre « Le dernier des Injustes » et à

Theresienstadt, extraordinaire document sur l’organisation de la « solution finale ».

Nous parlerons également d’un autre de ses livres, « Un vivant qui passe »,

transcription exacte de l’entretien objet de son film éponyme de Maurice Rossel, de

nationalité suisse et membre du Comité International de la Croix rouge qui se rendit

en 1943 à Auschwitz et en juin 1944 à Theresienstadt.

L’Echappée belle, Cinémathèque Française à Amsterdam, projettera « Le dernier

des Injustes » ainsi que « Shoah », « Sobibor, 14 octobre 1943,16 :00 heures » et

« Un vivant qui passe » au cinéma Het Ketelhuis au cours de la semaine du 16 mai.

Le programme et les horaires des projections seront communiqués très

prochainement.