En préparation de la venue de Philippe Claudel les 23 mars (Ketelhuis- réserver dès maintenant et 24 mars KZ529 – Réserver dès maintenant prochains, je me suis replongé avec bonheur dans la lecture de plusieurs de ses premiers romans. Même plaisir, mêmes sensations qu’à la première lecture, le trouble flotte en nous longtemps après avoir refermé le livre. Déjà dans “Les âmes grises”, qui lui valut le prix Renaudot en 2003, Philippe Claudel nous emportait par son écriture rare, une écriture qui nous fait sentir la boue des champs remués par la guerre, la Grande tuerie de 14-18. Ce sont aussi les odeurs de cette campagne Lorraine triste et désolée, les odeurs et saveurs de cette province dure où s’affrontent dans un combat, parfois mortel, des classes sociales irréconciliables. Dans “Les âmes grises”, Philippe Claudel fait dire à l’un de ses personnages, Joséphine, la marchande de peaux de lapins :
“Les salauds, les saints, je n’en ai jamais vus. Rien n’est tout noir ou tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes c’est pareil. Tu as une âme grise, joliment grise, comme nous tous.”
Oui, nous tous, sauf ces femmes solaires dont Philippe Claudel excelle à faire le portrait, comme Lisa Verhareine, la jeune institutrice qui attend son fiancé parti au front ou encore Clémence, l’épouse du narrateur. Toutes et tous ont un destin tragique, broyés par la vie, une vie “faite de morceaux coupants, impossibles à recoller”. Philippe Claudel nous touche et nous prend aux tripes, il “ouvre au couteau le mystère comme un ventre” et il “y plonge à pleines mains”.
A lire sans tarder!
Beaucoup d’âmes bien noires dans le nouveau roman de François Garde. En 2012, François Garde recevait le Goncourt du premier roman pour “Ce qu’il advint du sauvage blanc” (Gallimard). Ce roman, inspiré d’une histoire vraie, retraçait le parcours d’un jeune matelot français abandonné sur une plage d’Australie au XIXe siècle.
Cette fois, le nouveau roman de François Garde est contemporain. Livre sur la vanité de l’homme et sa superficialité, François Garde nous décrit avec vérité et précision le monde froid des médias et du spectacle. Un monde dévorant avidement les âmes, un monde dans lequel sentiments et honnêteté sont piétinés. Un soir de première à l’Opéra Garnier, retransmise en direct à la télévison, le chef d’orchestre, chef vénéré et respecté, chef de renommée internationale, fait le salut nazi. Un musicien d’orchestre, un homme de l’ombre, choqué par ce geste, réagit presque d’instinct. Il se trouve alors brutalement projeté au devant de la scène pour son malheur et celui des siens. Dans un style simple et prenant, François Garde nous fait ressentir la fièvre et la peur qui s’emparent de son héros, emporté brutalement en un instant dans un tourbillon médiatique, pour une gloire éphémère, un feu de paille violent et destructeur.
Après de longues années d’absence, les Malaussène reviennent. De 1985 à 1999, Daniel Pennac nous avait charmé avec la saga des Malaussène, contée en six tomes, dont l’inoubliable “ Fée Carabine”. Voila les Malaussène de retour avec ce premier tome d’une nouvelle série, “Le cas Malaussène”, introduite par Benjamin Malaussène lui même:
«Ma plus jeune sœur Verdun est née toute hurlante dans La Fée Carabine, mon neveu C’est Un Ange est né orphelin dans La petite marchande de prose, mon fils Monsieur Malaussène est né de deux mères dans le roman qui porte son nom, ma nièce Maracuja est née de deux pères dans Aux fruits de la passion. Les voici adultes dans un monde on ne peut plus explosif, où ça mitraille à tout va, où l’on kidnappe l’affairiste Georges Lapietà, où Police et Justice marchent la main dans la main sans perdre une occasion de se faire des croche-pieds, où la Reine Zabo, éditrice avisée, règne sur un cheptel d’écrivains addicts à la vérité vraie quand tout le monde ment à tout le monde. Tout le monde sauf moi, bien sûr. Moi, pour ne pas changer, je morfle.» Benjamin Malaussène.
A lire sans tarder!
Après “L’amie prodigieuse” et “Le nouveau nom”, “Celle qui fuit et celle qui reste” est la suite de la formidable saga dans laquelle Elena Ferrante raconte cinquante ans d’histoire italienne et d’amitié entre ses deux héroïnes, Elena et Lila.
Pour Elena, comme pour l’Italie, une période de grands bouleversements s’ouvre. Nous sommes à la fin des années soixante, les événements de 1968 s’annoncent, les mouvements féministes et protestataires s’organisent, et Elena, diplômée de l’École normale de Pise et entourée d’universitaires, est au premier rang. Même si les choix de Lila sont radicalement différents, les deux jeunes femmes sont toujours aussi proches, une relation faite d’amour et de haine, telles deux sœurs qui se ressembleraient trop. Et, une nouvelle fois, les circonstances vont les rapprocher, puis les éloigner, au cours de cette tumultueuse traversée des années soixante-dix.
Celle qui fuit et celle qui reste n’a rien à envier à ses deux prédécesseurs. À la dimension historique et intime s’ajoute même un volet politique, puisque les dix années que couvre le roman sont cruciales pour l’Italie, un pays en transformation, en marche vers la modernité.
(Note de l’éditeur)
Le 10 février dernier nous recevions Jean-Philippe Blondel. La province française, décor de la plupart de ses livres, a bien sûr tout de suite été évoquée avec humour et affection. Jean-Philippe Blondel nous a aussi parlé avec sensibilité et justesse des rapports entre adolescents et parents.
Beaucoup d’émotion aussi, quand Jean-Philippe Blondel parle de la violence et de l’absurdité de l’enseignement dans certaines classes préparatoires, de la mort d’un adolescent, du suicide, sujets de son livre “Un hiver à Paris”. Nous avions aussi parlé probablement d’un de ses plus beaux livres “Et rester vivant”, récit autobiographique paru en 2011 auquel “Un hiver à Paris” dans sa structure et aussi dans beaucoup de passages forts et émouvants fait beaucoup penser. « Et rester vivant », est un retour en arrière sur les événements tragiques « ces ténèbres, ce tsunami interne », qui ont bouleversé sa vie. Un retour en arrière pour en finir avec ce passé et se libérer des démons qui l’ont longtemps hanté, faire le deuil et vivre. Dans “Et rester vivant”, le narrateur a 22 ans lorsqu’il perd son père dans un accident de voiture. Quatre années plutôt, sa mère et son frère avaient aussi trouvé la mort dans un accident de voiture, accident dont le père portait la lourde et insoutenable responsabilité. Pour “rester vivant”, le narrateur décide de partir à Morro Bay, en Californie en compagnie de deux amis proches, Laure et Samuel. Récit bouleversant, triste, mais aussi drôle et espiègle, clin d’oeil respectueux à Kerouac, un livre à lire absolument pour ceux qui ont aimé “Un hiver à Paris” et “Mariages de saison”.
Vous vous souviendrez sans doute du dernier roman de Laurent Seksik, “L’Exercice de la médecine”, dans lequel la narratrice, Lena, cancérologue en exercice à Paris, racontait l’histoire de sa famille, une lignée de médecins juifs, habités par la volonté de secourir et guérir, histoire du temps de la Russie tsariste, puis en Allemagne, à Berlin, en Union Soviétique sous la coupe de Staline pour arriver finalement à Paris.
Ainsi que son titre l’indique, c’est d’un tout autre sujet que traite Laurent Seksik dans son dernier livre. Romain Gary, personnage plus grand que nature, on le sait, s’était forgé une vie bien différente de la réalité. Sa mère, Mina, personnage central de sa vie et de ses romans, n’était pas dans la vraie vie, la grande styliste parisienne qu’il se plait à décrire mais une simple modiste luttant pour élever son enfant dans la pauvreté d’une banlieue de Vilnius. Pourtant, au delà de ces embellissements, la force de caractère indomptable et la croyance de cette mère dans le destin unique de son fils sont bien réels, sublimés dans “La promesse de l’aube”, le chef d’euvre de Gary, épopée dont le père est pratiquement absent. Pour bâtir sa légende, Romain gary s’est donc inventé un père, Ivan Mosjoukine, célèbre comédien russe de cette époque. Laurent Seksik, défait la légende pour donner vie à Arieh Kacew, le vrai père du romancier. Ce père n’est pas comédien mais fourreur. Fatigué par le caractère volcanique de Mina son épouse, dont les humeurs l’épuisent, il s’enfuit avec Frida à qui il a fait un enfant. Romain Kacew-Gary a alors onze ans et jamais il ne pardonnera à son père cet abandon. C’est alors qu’il s’invente une vie et un père. Laurent Seksik avec élégance et respect, fait vivre ce père gommé par son fils et par l’histoire. Il devine et créé, et la fiction, sous sa plume, donne vie à cet homme qui aura autant que Mina, influencé, certes en contre-point, la vie de Romain Gary. Laurent Seksik nous avait décrit “ Les derniers jours de Stefan Zweig” et “Le cas Eduard Einstein”, le frère du grand savant, dans une recherche passionnée et respectueuse de la vérité. Laurent Seksik poursuit ici ce travail avec Romain Gary. En montrant la face cachée, parfois noire, de l’écrivain, il nous fait ressentir le choc qu’a été pour Romain Gary la trahison d’un père vénéré. Nous comprenons, dès lors, ces mensonges, ces fausses légendes, ce besoin éperdu de reconnaissance qui en découle, pour plus encore, en le comprenant mieux, nous le faire admirer.