Dessin de Del Rosso (Italie), tous droits réservés Charlie Hebo, 4 janvier 2023En ce début d’année 2023, Charlie Hebdo, avec courage et détermination, poursuit son combat contre l’obscurantisme et la bêtise en consacrant un numéro spécial au combat que mènent les femmes iraniennes contre le pouvoir religieux iranien. Charlie Hebdo a ainsi lancé, en décembre dernier, un concours international intitulé « Dégagez les mollahs ». Adressé aux dessinateurs amateurs du monde entier, le concours avait comme thème la caricature du chef religieux et politique iranien, Ali Khameini. Trente-cinq dessins ont été choisis, parmi des centaines, en provenance d’Australie, des États Unis, du Sénégal ou de Turquie. Ces dessins ont été publiés dans un numéro spécial paru le mercredi 4 janvier. Les dessinateurs de Charlie ne se sont bien sûr pas privés de caricaturer l’infâme mollah, montrant ainsi que malgré le massacre du 7 janvier 2015 qui coûta la vie à onze personnes dont les dessinateurs Cabu, Wolinski, Charb, Honoré et Tignous, Charlie Hebdo continue, avec énergie, à dénoncer la monstruosité et les atrocités perpétrées par le régime iranien. Il faut saluer le courage de ces femmes qui, au péril de leur vie (depuis le 14 septembre 2022, date de l’assassinat par la police iranienne de la jeune Mhasa Amini, plus de 500 personnes ont été tuées), combattent pour leurs droits. Il faut aussi saluer le courage et l’obstination de la petite équipe de Charlie, menée tambour battant par Riss, qui continue inlassablement à défendre la liberté d’expression. Une belle rentrée littéraire en ce mois de janvier 2023 avec les nouveaux romans de Pierre Lemaitre, qui publie la suite de son dernier livre, Le grand Monde, Daniel Pennac qui en termine (peut-être) avec la saga Mallausène, Laurent Seksik qui nous parle de Kafka, Véronique Ovaldé, Mathieu Lindon, Philippe Besson et bien sûr le retour très attendu de Philippe Claudel avec Crépuscule. Et puis un bon polar récompensé par le Prix du quai des Orfèvres 2023 et encore d’autres livres parus l’an dernier dont nous n’avions pas encore eu le temps de vous parler. Toute l’équipe du Temps Retrouvé vous souhaite une excellente année 2023. Crépuscule, Philippe Claudel
« L’immobilité est gage de paix, et la bêtise bien souvent son alliée. Les sociétés, petites ou grandes, savent donner les rênes de leur administration aux crétins somptueux. Tout cela est vieux comme le monde et ne connait pas de frontières. » Page 56 Nous sommes au début du siècle dernier, au crépuscule de l’empire austro-hongrois et des vieilles monarchies des Balkans qui seront bientôt emportés par la fureur de la Grandeur Guerre. Mais pour l’heure, c’est encore l’ordre ancien qui règne, avec ses codes, ses castes, qui perpétue depuis des siècles la domination d’une aristocratie insensible à la misère et au désespoir des populations. Dans une petite ville du fin fond de l’empire, le vieux curé Jan Igor Seïd Pernieg est retrouvé mort dans la neige, le crâne fracassé par une pierre. Nourio, le Policier, et Barj l’Adjoint, mènent l’enquête pour découvrir l’assassin. Très vite les soupçons se portent sur la petite communauté musulmane de la ville. Nourio, intelligent et de bonne volonté, mais profondément perturbé par une libido obsessive et envahissante qui lui fera commettre le pire, est entravé dans son investigation par les notables de la ville. Ébloui par le Margrave qui flatte sa vanité, dominé par son supérieur, moqué par le Rapporteur de l’administration impériale, le Maire et leurs amis, parviendra-t-il néanmoins à trouver le meurtrier ? Les crimes atroces perpétrés contre la communauté musulmane au prétexte de l’assassinat du prêtre seront-ils punis ? L’horrible vindicte populaire sera-t-elle réprimée et condamnée ? Justice sera-t-elle faite ? Le silence et la colère, Pierre Lemaitre
Le silence et la colère Deuxième volet de la nouvelle suite romanesque Les Années glorieuses, consacrée aux Trente Glorieuses, Pierre Lemaitre situe la suite de sa saga presqu’exclusivement en France. Vous y retrouverez tous les protagonistes du premier volume, Le grand monde, mais cette fois ce sont les femmes qui sont au centre du récit. Hélène, devenue journaliste-reporter aux cotés de son frère François dans le même journal, est particulièrement présente dans le livre avec Nine, dont François est douloureusement amoureux. Geneviève, l’horrible mégère qui terrorise Jean, son mou de mari aux accès meurtriers, n’est pas en reste et secoue toute cette famille qu’elle déteste cordialement mais dont elle profite abondamment. Louis et Angèle, les parents, sont également présents mais plus en retrait. Nous suivrons, parenthèse libanaise au récit français, la carrière de boxeur de Julien, jeune employé de la savonnerie. Terminus Mallaussène, Daniel Pennac
« Je ne savais pas que les enfants avaient failli se faire tuer dans le volume précédent.Quand j’ai appris que c’était Pépère qui avait fait le coup, j’ai pigé un truc : qui ne connaît pas Pépère ne sait pas de quoi l’être humain est capable. » Benjamin Malaussène Frank Kafka ne veut pas mourir, Laurent Seksik
« Tuez-moi, sinon vous êtes un assassin. » Telles sont les dernières paroles de Franz Kafka qui implore une autre dose de morphine à Robert Klopstock, son ami étudiant en médecine. À son chevet, sa compagne, Dora Diamant, veille sur lui. Tandis qu’Ottla, la soeur chérie, attend à Prague des nouvelles. Robert, Dora, Ottla : ce roman raconte l’histoire de ces trois personnages clés de la vie de Kafka et entrecroise leurs destins, marqués au-delà de l’imaginable par sa présence et son oeuvre. Robert deviendra, à New York, un éminent chirurgien spécialiste de la tuberculose. Dora survivra à la persécution nazie puis stalinienne, en portant jusqu’à nous la mémoire de Kafka. Ottla, elle, accompagnera dans les chambres à gaz un groupe d’enfants juifs après avoir célébré, au camp de Theresienstadt, le soixantième anniversaire de la naissance de son frère. À travers ce roman dans le siècle, Laurent Seksik explore de manière inédite l’oeuvre et la vie de Franz Kafka. L’auteur des Derniers jours de Stefan Zweig et du Cas Eduard Einstein mêle à nouveau, avec émotion et érudition, la grande histoire et le tragique de vies façonnées par l’empreinte d’un géant. (Note de l’éditeur) Fils de personne, Jean-François Pasques, Prix du Quai des Orfèvres 2023 Bon cru pour le Prix du Quai des Orfèvres 2023. Ce prix, créé en 1946, est décerné par un jury, présidé par le préfet de police de Paris et composé de magistrats et de policiers. Il récompense un roman policier choisi parmi des manuscrits soumis de façon anonyme. Fille en colère sur un banc de pierre, Véronique Ovaldé
« Elle aurait pu renoncer. Elle aurait dû renoncer.Elle se le répéta bien un million de fois toutes les années qui suivirent. Elle eut d’ailleurs une hésitation, peut-être valait-il mieux rester, se rallonger dans la chambrée, à écouter ses deux autres soeurs qui gesticulaient dans leur sommeil, pétaient et miaulaient sous leurs draps à cause de leurs rêves lascifs tout juste pubères. Peut-être valait-il mieux abdiquer, enrager, et se délecter de sa rage, puisqu’il y a un plaisir dans l’abdication, cela va sans dire, le plaisir tragique de la passivité et du dépit, le plaisir du drapage dans la dignité, on ne nous laisse jamais rien faire, on a juste le droit de se taire, on nous enferme, alors que les autres là-bas au loin s’amusent et se goinfrent, qu’est-ce que j’ai fait dans mes vies antérieures pour mériter ça, oh comme je suis malheureuse.Peut-être aussi que le jeu n’en valait pas la chandelle. Mais le jeu, n’est-ce pas, en vaut rarement la chandelle. Le jeu n’est désirable que parce qu’il est le jeu. » Véronique Ovaldé Véronique Ovaldé, à travers l’histoire d’une famille frappée par une mystérieuse tragédie, ausculte au plus près les relations que nous entretenons les uns avec les autres et les incessants accommodements qu’il nous faut déployer pour vivre nos vies. (Note de l’éditeur) Une archive, Mathieu Lindon
« Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l’aimais. Y a-t-il des archives pour ça ? Et comment être une archive de l’enfant que j’ai été ? » Mathieu Lindon Beyrouth-Sur-Seine, Sabyl Ghoussoub, Prix Goncourt des lycéens
Moins politique, plus proche des lecteurs que son grand ainé, le Prix Goncourt des Lycéens nous réserve toujours de bonnes surprises et le livre choisi par les lycéens en 2022 n’échappe pas à la règle. Beyrouth-Sur-Seine est un roman drôle, attachant, touchant de sincérité. Sabyl Ghoussoub nous raconte une histoire simple, celle d’une famille libanaise, sa famille, qui ayant fui la guerre, s’est installée à Paris. Le narrateur lui n’a pas ou peu connu le Liban, le Liban « d’avant », celui dont il a tant entendu parler et dont il se sent orphelin. Alors il décide d’interroger son père, poète et journaliste, professeur d’arabe, et surtout éternel amoureux de sa femme, pour savoir comment il était ce Liban « d’avant », ce paradis terrestre. Ainsi le père raconte comment ont passé les années, et comment ce qui ne devait être qu’un séjour à l’étranger est devenu un exil. Dans un minuscule appartement logé dans une tour du XV ème arrondissement, un petit Liban sera reconstitué, avec ses jardins, ses senteurs et cette chaleur humaine que les gens de la Méditerranée savent donner. Beyrouth-Sur-Seine raconte aussi la politique, la corruption, les luttes, qui déchirent et détruisent depuis tant d’années ce beau pays. Un roman doux-amer qui nous fait comprendre la difficulté de vivre loin de son pays. Qu’il s’agisse des réfugiés syriens, ukrainiens, maliens, (la liste est bien plus longue), tous sont des Déracinés comme l’avait déjà si bien écrit Barrès … en 1897. Ceci n’est pas un fait divers, Philippe Besson
Ceci n’est pas un fait divers » Cette main courante est très vague. Votre mère évoque des coups, mais sans entrer dans les détails « . Page 129 Cette déclaration a été faite à la gendarmerie par Cécile, un an avant qu’elle ne soit sauvagement assassinée par Franck, son mari, à qui elle venait d’annoncer qu’elle le quittait. Il lui assénera dix-sept coups de couteau. Aucune suite n’avait été donnée par la gendarmerie à la main-courante de Cécile, ni enquête ni même un quelconque suivi. Philippe Besson sait raconter. Le sujet de son livre est d’une atroce banalité. Ce féminicide, il a choisit de le raconter à la suite d’un témoignage qui l’a bouleversé. Selon l’expression populaire, Philippe Besson sait trouver les mots pour le dire. Son style d’écriture, simple, proche du langage parlé, permet de dire, de décrire, la misère humaine et le calvaire vécu par ces femmes qui vivent sous l’emprise de leur mari. Ceci n’est pas un fait divers décrit parfaitement, avec précision, le cycle infernal, classique, tristement répétitif et banal, dans lequel s’enferment les victimes. Le monstre est toujours excusé, ce n’est pas de sa faute, il peut être si gentil, si doux et la culpabilisation se forme pour des fautes imaginaires. Le monstre est manipulateur, en général séduisant et drôle avec les tiers. Ainsi donc personne n’a rien vu, personne ne s’est rendu compte des coups portés, du dépérissement de Cécile, sauf Léa, leur fille de 13 ans qui vit seule avec ses parents. Son frère, dix-neuf ans, vit à Paris. Philippe Besson, au delà de l’incurie des pouvoirs publics, décrit bien cette indifférence, au mieux cette incompréhension, « comment pouvait-on imaginer l’inimaginable » dira une voisine. Pourtant, selon le collectif Nous toutes, 154 féminicides, c’est à dire des femmes assassinées par leur conjoint, leur mari, ont été commis en 2022. Pourtant, le phénomène de l’emprise, de la domination a fait l’objet de nombreuses études, de romans, d’articles et est à présent bien connu. Alors après la lecture du livre poignant de Philippe Besson qui décrit, sans pathos, à quel point la vie de ceux qui restent est brisée à jamais, sans peu d’espoir de réparation, on s’interroge; ces crimes et au-de-là de l’assassinat, les coups et le martyre, connus de tous ceux qui côtoient les victimes, sans parler des autorités, peuvent-ils être évités ? La réponse est très probablement oui dans un grand nombre de cas. L’écrivain, me disais il ya quelque temps Philippe Claudel, est un lanceur d’alerte. Souhaitons que la notoriété et le livre de Philippe Besson serve à quelque chose. Blanc, Sylvain Tesson
« Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule — espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté ? » Sylvain Tesson Les nouvelles pérégrinations de Sylvain Tesson nous emmènent cette fois dans des montagnes proches de nous : les Alpes du Sud. Avec un de ses amis guide, Daniel du Lac, Sylvain tesson part de Menton pour traverser les Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. Ce périple, il le réalise de 2018 à 2021. Chaque année, dès l’hiver fini, Sylvain tesson s’encorde avec son camarade. Dès la deuxième année un autre alpiniste, rencontré l’année précédente, rejoindra la cordée. Blanc raconte les rencontres faites dans les refuges, la beauté de la montagne, l’effort, les heures de marche, solitaire, dans le « Blanc », dans le silence, hormis le cri des oiseaux de proie et le bruit des pas dans la neige, une marche lente et régulière, propice à la réflexion. Comme toujours dans ses récits, au fil des heures, endurant souvent des conditions de traversées difficiles, les obligeant parfois à revenir sur leurs pas, Sylvain tesson nous fait partager ses réflexions sur la vie et le monde, avec force références littéraires. Un livre pour les amoureux de la montagne et les fervents de méditation.  Toute l’équipe du Temps Retrouvé vous souhaite une excellente année 2023.Merci de votre fidélité ! |
